Reportage Afrique

Madagascar: le hiragasy, transmission de la sagesse populaire [2/2]

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À Madagascar, le début de la saison sèche donne le coup d'envoi des spectacles de hiragasy. Cet art ancestral des hauts plateaux centraux de la Grande Île, sorte d’opéra, qui servait notamment aux souverains malgaches à faire passer des messages au peuple, a su s’adapter au fil des générations. Avec leurs spectacles qui mêlent chants, danses, musiques, art oratoire et acrobaties, les troupes de hiragasy, originaires des campagnes, attirent de nombreux spectateurs et continuent de transmettre sagesse populaire, valeurs morales et critiques de la société, le tout teinté d’humour. 

Madagascar: la troupe de hiragasy Ramilison Besigara Zanany en spectacle dans la capitale, Antananarivo.
Madagascar: la troupe de hiragasy Ramilison Besigara Zanany en spectacle dans la capitale, Antananarivo. © Laetitia Bezain/RFI
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De notre envoyée spéciale à Mandrosoa,

C’est dans leur fief de Mandrosoa, l’un des villages en contrebas de la colline sacrée d’Antongona, à deux heures de la capitale, que les membres de la troupe Ramilison Besigara Zanany composent.

Radona est le leader de cette compagnie renommée à Madagascar. « Dans notre troupe, il y a des cultivateurs et des éleveurs », explique Radona. « L’argent que nous gagnons avec nos spectacles nous permet de prendre soin de nos cultures. » Le rôle et l’influence de ces artistes de la campagne au sein la société malgache sont encore bien présents, poursuit Radona.

Nos thèmes tournent autour de l’amour des parents pour leurs enfants, le respect des aînés, la fidélité... Dans le hiragasy, on est libre de parler de ce que l’on veut. Par exemple, on dit toujours aux gens qu’il faut arrêter la corruption, mais qui la pratique ? Ce sont les gens haut placés ! Et on n’a pas peur de le dire dans nos spectacles. C’est pour cela que le hiragasy occupe une place essentielle au sein de la société.

► À écouter aussi : Le hiragasy à Madagascar, à l'heure de la répétition

« Rééquilibrer l’ordinaire et l’extraordinaire »

Un art que l’on rencontre aussi à chaque étape importante de la vie des Malgaches, raconte Valérine Ravololoniaina chanteuse et compositrice. « Nous ne sommes pas comme la plupart des artistes qui sont sur une scène et les spectateurs en bas pour les regarder », prévient-elle. « Dans le hiragasy, nous sommes en plein air et le public s’assoit autour de nous. C’est un art qui est proche du peuple. Lors des circoncisions, des mariages, des inaugurations de maison ou de cérémonies de retournement des morts, on fait toujours appel aux artistes de hiragasy », souligne Valérine Ravololoniaina.

Un spectacle qui se compose en général de cinq parties. « Il y a d'abord ce qu'on appelle le ‘sasitehaka’, ce sont les hommes qui rentrent sur scène avec les tambours sous les applaudissements des spectateurs. Il y a ensuite le ‘kabary’ d'ouverture, c'est-à-dire le discours qui demande la bénédiction du public et la protection de Dieu. Puis, les femmes entrent en scène et commencent à chanter. Il y a le ‘renihira’, le chant principal qui développe le thème du spectacle. Il y a ensuite la danse et nous terminons par le ‘vakodrazana’, qui mélange danses et chants, détaille Radona.

Si la structure des spectacles a peu changé, les thématiques ont elles évolué avec les spectateurs, explique Hemerson Andrianetrazafy, historien, artiste plasticien, poète et musicien. « A la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle, étaient de plus en plus visibles des groupes de musiciens qui avaient pour habitude lors des grandes périodes de festivités, durant l'hiver austral, pour les mariages, les circoncisions, les rituels liés à la terre, etc. d'animer les fêtes et c'est à ce moment là que s'est structurée l'ossature du hiragasy. Cela se perpétue jusqu'à maintenant. Donc c'est ainsi que des groupes se sont formés pour le peuple et par le peuple. Malgré que ça soit le bastion de la tradition, le hiragasy est aussi un biais pour maîtriser toutes les modernités. C'est un moyen de vulgariser ce qui est en train de changer. Les artistes parlent de thématiques comme la mode, la politique, l'injustice sociale. Actuellement, la notion d'injustice climatique est intégré dans leurs thèmes. Ils dressent leurs antennes un peu partout pour percevoir ce qui change et ils l'introduisent comme thème d'un débat dans leur spectacle parce qu'il arrive très souvent qu'il y ait deux troupes en concurrence. Elles laissent aux spectateurs le choix de réfléchir sur cette question. »

Des spectateurs qui se comptent par centaines lors de compétitions dans lesquelles les troupes se livrent à de longues joutes verbales. « Les représentations de hiragasy génèrent une ambiance particulière qu'on ne retrouve pas dans les autres expressions modernes. Pourquoi ça attire toujours les gens, surtout en ville ? C'est un moyen de retrouver cet univers auquel on a été coupé parce que la ville c'est un monde désacralisé, un monde où il est difficile de recréer ses repères. L'arrivée des artistes de hiragasy, c'est le son des grosses caisses, le roulement de tambour, c'est l'annonce de la fête et là où il y a la fête, il y a la création d'un espace où la parole est reine. Ils sont les détenteurs, désormais, de la morale à faire prévaloir et des valeurs à instaurer. Dans une société de l'oralité où la parole n'est jamais neutre, la parole détient une certaine sacralité. Ils jouent également le rôle de contre-pouvoir, non seulement contre le pouvoir établi mais aussi des modes qui sont en train de s'instaurer. Ce sont les gardiens de l'éthique sociale ou, du moins, de l'idée qu'ils se font de l'éthique sociale idéale et généralement, ça fonctionne bien parce que leurs spectacles sont toujours en phase avec le vécu du public. Maintenant plus que jamais, dans une société qui ne cesse de sombrer dans une crise économique, financière, social, où l'on est largement en perte de vitesse par rapport à nos références, les artistes de hiragasy constituent le bastion qui permet de rééquilibrer l'ordinaire et l'extraordinaire, ce qui rend la vie un peu plus facile », poursuit Hemerson Andrianetrazafy

Emblématique de la Grande Ile, le hiragasy devrait bientôt être reconnu en tant que patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Le dossier d'inscription a été déposé en début de mois auprès de l'Unesco à Paris par le Ministère Malgache de la Culture et de la Communication. 

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