Santé mentale en Afrique du Sud: les Freedom Fighters évoquent les traumatismes de l'apartheid [1/3]
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En Afrique du Sud, la violence et les traumatismes qu’a connus le pays continuent d’avoir un impact sur la santé mentale des habitants. La parole est donnée aux anciens combattants pour la liberté, qui se sont battus contre le système ségrégationniste de l’apartheid. Ils ont été victimes de nombreuses violations des droits de l’Homme avant d’obtenir victoire dans les années 1990 avec la chute du régime. Lors de la transition démocratique, l’accent a été mis sur la volonté de tourner la page et les traumatismes vécus ont bien souvent été enfouis.

Unjinee Poonan avait 19 ans lorsqu’elle a été arrêtée, en 1977, pour avoir organisé des manifestations étudiantes lors de la mort de Steve Biko. Et bien des années plus tard, il lui est encore douloureux de décrire ses semaines en détention. « On m’a battue, sur tout le corps, avec un tuyau dont on avait rendu le bout pointu. Je n’arrivais plus à manger, les toilettes n’étaient jamais nettoyées, et les couvertures se trouvaient à même le sol. Après la première nuit, j’étais couverte de poux, qui grouillaient sur ma tête et mon corps, et je pense que cela faisait partie de la torture psychologique ».
Unjinee a ensuite dû partir en exil, au Botswana, pour ne revenir en Afrique du Sud que 13 ans plus tard. Elle a pu, par la suite suivre une thérapie, mais garde aujourd’hui encore, des cicatrices. « Encore aujourd’hui, tout est toujours présent dans ma tête. Je n’y pense pas tout le temps, mais c’est parfois réveillé par certains détails. Il y a des choses qui me sont arrivées et que je ne pourrai jamais raconter. Même si j’ai beaucoup travaillé sur tout cela, et que je suis sous traitement médical, certaines choses restent cachées », dit-elle.
Dick Mokoena était lui du côté militaire : il a rejoint le combat contre le régime lorsqu’il était adolescent, puis, contraint à l’exil, il est devenu instructeur sur le front angolais. En 1992, de retour en Afrique du Sud, il a été confronté aux violences politiques qui ont mené à un massacre dans son township de Boipatong. « Durant cet affrontement, ils m’ont tiré dessus avec leurs fusils. Maintenant, les flashbacks sont parfois douloureux et il m’arrive de me réveiller en pleine nuit. Mais je pense que la religion m’a aidé. Beaucoup de mes collègues, eux, souffrent toujours, on appelle cela les troubles du stress post-traumatique, et certains se tournent vers l’alcool », raconte-t-il.
« On ne peut pas s’attendre à ce que des êtres humains si abîmés fonctionnent normalement »
Pour Marjorie Jobson, directrice de l’organisation de soutien aux victimes Khulumani, le pays n’a pas accordé suffisamment d’importance à la santé mentale des combattants anti-apartheid après 1994. « Tout le monde a été forcé à aller de l’avant, et ce pays est désormais dans l’état où il est parce qu’on n’a jamais compris à quel point les blessures sont profondes, ainsi que l’humiliation subie. On ne peut pas s’attendre à ce que des êtres humains si abîmés fonctionnent normalement ».
Quelques interventions ont bien été mises en place par le gouvernement, mais à une échelle encore modeste et principalement pour les anciens militaires.
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