Côte d'Ivoire: comment les films d'arts martiaux ont créé le mouvement Ziguéhi? [1/4]
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Le mouvement ziguéhi naît dans les rues d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, dans les années 1980. Il s’inspire des films d'action popularisés à l'époque par Sylvester Stallone, Bruce Lee ou autre Jean-Claude van Damme. Beaucoup de jeunes urbains ivoiriens désœuvrés s'adonnent à la musculation et aux arts martiaux pour se faire un nom et « briller » dans la rue. Au fur et à mesure, des groupes s'organisent à la manière de gangs américains et se lancent dans des guerres de territoire.

De notre envoyé spécial à Abidjan,
C’est dans la commune de Treichville que l’association Ziguehi Force One s’est installée. Coincée entre le grand marché et le pont Charles de Gaulle, la petite salle de musculation est investie par des jeunes et moins jeunes, qui se relaient sur les machines en comparant leur biceps.
À bientôt 50 ans, le secrétaire général adjoint Youssouf Sidibé, dit Baya, fait partie des premières générations de Ziguéhis. Il se souvient que c’est dans les années 80 qu’émergent les premiers groupes qui se livrent des guerres de territoire : « Les bagarres de rue, c’est par quartier, avec Treichville, Marcory, Abobo… Nous partions défier les gens qui étaient les plus forts de là-bas. On partait les défier. On s’est bagarrés avec des machettes, couteaux, tout ! On se battait souvent et d'autres "restaient dedans". Quand je dis "restaient dedans", c’est qu’il y avait mort d'homme. Un chef doit montrer qu'il est le chef. Quand on dit que telle personne, qui est là-bas, a la force, toi, tu dois aller le défier pour lui dire que c'est un enfant. Et une fois qu’il y a une victoire, c’est la joie. »
« Nous sommes des hommes au grand cœur »
Aujourd’hui père de famille, Baya est devenu entraîneur de rugby et de muay-thaï. Pendant son temps libre, il participe aux activités de l’association et vient faire de l’exercice dans la salle. Il y a aussi des athlètes, comme le jeune – mais massif – OB Champion, professionnel de powerlifting (force athlétique, en français). Il incarne la nouvelle génération de Ziguéhis, pour qui le culte du corps a remplacé la violence : « Il y a des Ziguéhis qui sont avocats, d’autres qui sont gendarmes. Le Ziguéhi n'est pas synonyme de banditisme. Il défend, il protège. Si tu ne fais pas ça, tu n’es pas un Ziguéhi, tu es un bandit, on doit te frapper. Nous sommes des hommes au grand cœur. »
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Historiquement, le mouvement ziguéhi naît au tout début des années 1980. Après deux décennies d’un développement fulgurant, la Côte d’Ivoire traverse une grave crise économique. Avec la hausse de la criminalité, des groupes d’autodéfense s’organisent dans les quartiers d’Abidjan. Dans le même temps, des salles de cinéma apparaissaient à travers le territoire. Les films d’action cartonnent et imprègnent l’imaginaire des jeunes.
Un mouvement désormais intégré aux cultures urbaines
Séverin Kouamé est sociologue à l’université de Bouaké : « C’était aussi une sorte de connexion au monde. Donc justement, on voyait ce qui se passait aux États-Unis avec les guerres de gangs. On voyait bien comment, par exemple, on construisait la masculinité, de la virilité et certaines compétences personnelles à travers les arts martiaux. Donc tous les Jacky Chan, les Bruce Lee, étaient les modèles de l'époque, et ces jeunes gens se sont construits à travers ces modèles-là. C'était une forme de culture urbaine qui s'enracinait malgré tout dans une forme de violence contestataire de l'ordre social. »
De nos jours, le mouvement ziguéhi est considéré comme précurseur des cultures urbaines ivoiriennes. À tel point que les légendes et les mythes du phénomène sont célébrés bien au-delà des frontières du pays.
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