Reportage Afrique

Nettoyage ethnique à l'ouest du Darfour: témoignages de rescapés [1/3]

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En un peu plus de cinq mois, la guerre qui oppose l’armée régulière soudanaise du général al-Burhan aux Forces paramilitaires de soutien rapide du général Hemetti, a fait des milliers de morts civils et déplacé plus de 5 millions de personnes. Si Khartoum est l’épicentre des combats, les affrontements se sont étendus à presque tout le pays, et notamment au Darfour, région meurtrie par les conflits depuis 2003. Au Darfour occidental, dont la capitale el-Geneina borde le Tchad voisin, la guerre a pris une tournure ethnique. Alors que l’armée régulière est restée cantonnée dans son quartier général, la zone est sous le contrôle quasi intégral des paramilitaires et des milices arabes qui leur sont affiliées. Plus de 420 000 personnes ont franchi la frontière du Tchad. Dans les camps de réfugiés, les rescapés racontent les massacres et dénoncent un « nettoyage ethnique ».

Une Soudanaise qui a fui El-Geneina, au Darfour occidental, avec son enfant qui souffre de malnutrition, à l'hôpital de la mission Médecins sans frontières (MSF) à Adré, au Tchad, le 24 juillet 2023.
Une Soudanaise qui a fui El-Geneina, au Darfour occidental, avec son enfant qui souffre de malnutrition, à l'hôpital de la mission Médecins sans frontières (MSF) à Adré, au Tchad, le 24 juillet 2023. © REUTERS - ZOHRA BENSEMRA
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De notre correspondant dans la région,

Dans l’enceinte de l’hôpital d’Adré, un homme se tient péniblement sur des béquilles. Sa jambe est enroulée de bandages. Il s’appelle Al-Saddiq, il était pompiste à el-Geneina dans une station essence du quartier Jamarik. Le 15 juin, deux soldats des Forces de soutien rapide ont défoncé la porte de sa maison et lui ont tiré dessus. Une balle a traversé sa cuisse. Pendant cinq jours, il s’est vidé de son sang.

 « Au début, la guerre a commencé entre l’armée et les paramilitaires. Mais à el-Geneina, c'est devenu un conflit où les tribus arabes, les Janjawids, se sont unies avec les paramilitaires, pour cibler une seule communauté : la tribu Massalit. Et plus largement, tous ceux qui ont la peau noire et qu’ils considèrent comme des esclaves », raconte-t-il.

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Rassembler des preuves qui attestent des crimes de guerre

Constitués en groupes d’auto-défense, certains Massalit ont pris les armes pour défendre leur communauté. Ils ont été dépassés en nombre, à court de munitions, et le conflit a pris la tournure d’un véritable carnage entre le 15 et le 17 juin, après l’assassinat du gouverneur Massalit détenu par les paramilitaires. En quelques jours, près de 100 000 personnes ont pris la fuite vers le Tchad. Des centaines de blessés affluaient dans les hôpitaux.

Sous un préau en paille, Arbab Ali fait défiler des photos sur son téléphone. On y voit des corps jonchant les rues, des images d’obus et de mortiers tombés sur des habitations et quartiers peuplés de civils. « Nous réunissons tout type de preuves nous permettant d’attester que des crimes de guerre ont été commis contre des civils dans cette région du Darfour occidental et que les communautés Massalit ont subi une opération de nettoyage ethnique et de génocide pour la deuxième fois depuis 2003 en un temps record. Nous mettrons ces informations à disposition de la justice, le jour où elle se penchera sur cette question et que sonnera l’heure pour les criminels de rendre des comptes », explique Arbab Ali.

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Un registre des morts, blessés et disparus

Sur des feuilles volantes, ces activistes tiennent un registre des morts, des blessés, des disparus au cours des évènements. Des milliers de noms sont recopiés soigneusement à la main. Parmi eux, apparaissent ceux de personnalités influentes de la communauté Massalit, systématiquement visées, dénonce Taha Abdallah, membre de l’association Juzur. 

« Pendant les évènements, nous avons été témoins d’une opération d’élimination ciblant les activistes, les défenseurs des droits humains, les élites dans différents domaines : qu’ils soient médecins, professeurs ou ingénieurs », décrit Taha Abdallah. « Les miliciens avaient constitué des listes présentes à chaque check-point des Forces de soutien rapide. Ils avaient les photos et les noms des personnes recherchées. S’ils trouvent ton nom sur la liste, c’est fini pour toi. »

Les Forces de soutien rapide du général Hemetti nient toute implication dans ce qu’ils décrivent comme un conflit tribal. Pourtant, ils contrôlent aujourd’hui une ville, el-Geneina, vidée de la plupart de ses habitants.

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