Nettoyage ethnique à l'ouest du Darfour: des fossoyeurs pour cacher des crimes de guerre [2/3]
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Au Darfour occidental, dont la capitale El-Geneina borde le Tchad voisin, la guerre a pris une tournure ethnique. Alors que l’armée régulière est restée cantonnée dans son quartier général, la zone est sous le contrôle quasi intégral des paramilitaires et des milices arabes qui leur sont affiliées. Dans les camps de réfugiés au Tchad, notre correspondant a rencontré plusieurs témoins qui racontent comment les paramilitaires ont organisé l’enterrement de centaines de corps dans des fosses communes.
De notre correspondant dans la région,
Nous l’appellerons Ahmed. Cet étudiant d’El-Geneina, réfugié au Tchad, craint pour sa sécurité. Au mois de juin, il a fait partie du groupe de personnes chargées de ramasser les cadavres qui jonchaient les rues de la ville.
« Il y avait des corps le long des routes, dans les maisons aussi. Il y avait beaucoup d’enfants, des femmes, des vieillards, mais surtout des jeunes hommes », explique-t-il. « Moi, je travaillais chaque jour entre 8h et 14h. J’ai ramassé une quantité inimaginable de corps. Chaque jour, on remplissait la benne d’un camion pouvant transporter plus d’une cinquantaine de cadavres. On en remplissait jusqu’en haut. Certains jours, le camion faisait plusieurs allers-retours. »
Selon plusieurs témoins qui ont tous souhaité rester anonymes, des chefs de milices arabes, en coordination avec les Forces de soutien rapide, ont missionné les équipes du Croissant-Rouge soudanais pour nettoyer la ville. Les équipes de fossoyeurs avaient l’interdiction de prendre des photos et de décompter le nombre de morts.
« Un jour, je me suis échappé jusqu’à la fosse commune. Je me suis faufilé entre la cabine du chauffeur et la benne du camion. Les gardes des Forces de soutien rapide ne m’ont pas vu », ajoute Ahmed. « Le chauffeur a pris la direction d’un site appelé Turab el-Ahmar, à l’ouest d’El-Geneina. Il y avait une pelleteuse qui creusait le trou. Puis, un camion arrivait, levait la benne, et déversait les corps et ainsi de suite. »
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Au moins 13 fosses communes
Les Nations unies ont affirmé détenir des preuves crédibles de l’existence d’au moins 13 fosses communes autour d’El-Geneina. Arbab Ali, membre d’une organisation de défense des droits humains, estime que plus de 4 000 cadavres auraient pu être ensevelis. Sur son téléphone, une vidéo montre un camion déversant des dizaines de corps, jetés comme des ordures sans aucun rite funéraire.
« À partir du 20 juin, les FSR et les milices arabes ont commencé une opération de dissimulation des crimes commis. Ils ont formé un comité qui avait l’ordre de collecter les cadavres et de les enterrer dans des lieux éloignés des regards », dit Arbab Ali. « Aujourd’hui, grâce aux satellites, il est possible d’identifier certains lieux. Il va être très compliqué pour les FSR de nier les crimes commis alors qu’il y a des milliers de témoins, de photos et de vidéos. Ce sera à la Cour pénale internationale ou bien à une Cour nationale de trancher, si un jour, elle est constituée pour faire la lumière sur les crimes commis à El-Geneina. »
La Cour pénale internationale a annoncé en juillet l’ouverture d’une nouvelle enquête pour crimes de guerre au Darfour. Elle vient s’ajouter aux investigations démarrées en 2005 suite au conflit précédent qui avait fait plus de 300 000 morts dans la région. Mais les réfugiés ici dans les camps sont sceptiques face à la lenteur de la justice internationale. 20 ans plus tard, aucune condamnation n’a encore été prononcée. Ils craignent que l’histoire se répète.
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