Reportage Afrique

Madagascar: à Antananarivo, la quête des besoins primaires éclipse la campagne présidentielle [1/5]

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À Antananarivo, la nuit est devenue synonyme de quête d’eau. Une quête qui met les nerfs des habitants à rude épreuve, déjà exténués par les difficultés quotidiennes. Car si la saison des pluies a bien démarré, l’eau, elle, ne coule toujours pas dans les robinets. Aussi, pour les plus démunis, l’élection présidentielle s’annonce comme un événement banal tant la satisfaction des besoins vitaux occupe déjà pleinement le quotidien.

À Andraisoro, des personnes patientent pour remplir leurs bidons jaunes. Par souci d'équité, les habitants n'ont pas le droit de remplir tous leurs bidons à la chaîne. Chaque personne remplit un bidon et attend ensuite que leurs voisins aient fait de même. Pour remplir six bidons, cela prend environ 6h.
À Andraisoro, des personnes patientent pour remplir leurs bidons jaunes. Par souci d'équité, les habitants n'ont pas le droit de remplir tous leurs bidons à la chaîne. Chaque personne remplit un bidon et attend ensuite que leurs voisins aient fait de même. Pour remplir six bidons, cela prend environ 6h. © Sarah Tétaud / RFI
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De notre correspondante à Antananarivo,

« Là, il est 2h50. On est une vingtaine à faire la queue. 2, 4, 6, 9... tous [ces bidons] sont à moi. Il reste une cinquantaine de bidons avant que je puisse remplir mon 3e bidon. » Voilà deux ans désormais que Jacqueline et ses voisins d’infortune du quartier d’Andraisoro passent leur nuit devant la borne fontaine.

« On en souffre, on en souffre, parce qu’on attend depuis 20h. Des fois, l’eau n’arrive qu’à minuit et on ne peut remplir qu’un bidon par personne. Et des fois il n’y a rien, alors qu’on veille jusqu’au petit matin ! », s'exclame Jacqueline. « Je suis épuisée... Je ne peux pas récupérer parce qu’en journée, je dois vendre mes poissons séchés au marché pour trouver ensuite de quoi manger. Avant, l’eau coulait régulièrement la nuit, mais là, c’est devenu invivable depuis un an. »

Incertitude permanente quant à l’accès à l’eau, manque de sommeil, sensation que tout va de mal en pis. Un cocktail idéal pour que chaque soir, des disputes éclatent entre habitants. « Ce n'est même pas rempli à ras bord ! Et tu arrêtes de remplir ? », demande Jacqueline en interpellant le gardien de la borne. « Si, c’est rempli ! », répond-t-il. « Ne rentre pas dans ce jeu, parce que moi, j’observe ! Tu crois que je ne te vois pas ? », s'emporte Jacqueline.

Alors, quand on questionne Jacqueline sur l’élection imminente, la réponse est cinglante : « Je n’ai pas le temps de penser à autre chose. La propagande, les manifestations, tout ça, c’est pas ma priorité. Parce que je suis déjà tellement fatiguée de me battre au quotidien, pour ma survie ... »

« Nous, les petits, on nous ignore »

A un kilomètre de là, dans le quartier de Nanisana, dans la nuit noire et sous une pluie battante, une ombre frêle s’active. Célestine, porteuse d’eau, empile les bidons qu'elle vient de récupérer sur le palier de porte de ses clients, devant une fontaine où aucune goutte ne coule encore. « Le 16 novembre, oui, je sais qu’il y a l’élection. Mais je ne sais pas qui sont les candidats », explique Célestine, qui ajoute : « Je suis trop occupée à trouver de l’argent pour nourrir ma famille. Je n’ai pas le temps de me renseigner sur eux... »

À l’aube, à côté d’une autre file de bidons jaunes vides, madame Perle a installé son maigre étal de légumes sous un parasol flambant neuf, un don de l’un des candidats.

« Je vends rarement ma marchandise ces temps-ci. Ce n’est plus comme avant. Tout a augmenté, les gens sont pauvres. Mon bénéfice journalier est descendu à 5 000 ariarys, alors qu’on est 10 à la maison... » déplore madame Perle. « Les politiciens ? Ils ne pensent qu’à conserver leur chaise. Et nous, les petits, on nous ignore. Alors, le parasol n’a rien à voir avec tout ça. Si j’en ai un, ça ne veut pas dire que je soutiens qui que ce soit. Je suis vendeuse : j’ai besoin d’un parasol. On me l’a donné. Je le prends. »

Jamais une campagne présidentielle n’aura été aussi éloignée des préoccupations des habitants de la capitale.

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