Nous vous proposons une série de reportages Afrique en cinq épisodes consacrés aux programmes de justice transitionnelle que le Nigeria expérimente depuis plus de dix ans, pour inciter les défections dans les rangs de Boko Haram. L'opération « Safe Corridor » et le « Modèle du Borno » sont deux mécanismes sur lesquels s'appuient l'armée nigériane, le ministère de la Justice et le gouvernement de l'État de Borno, pour réintégrer des repentis de Boko Haram dans leur communauté d'origine ou des communautés hôtes. Selon l'armée nigériane, 120 000 ex-militants auraient quitté les rangs de Boko Haram et de l'État islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP). Notre correspondant a passé plusieurs semaines dans le nord-est du Nigeria pour recueillir des témoignages de victimes, d'experts en déradicalisation, mais aussi de repentis, ex-membres de Boko Haram et de l'ISWAP. Dans ce premier épisode, Moïse Gomis donne la parole à deux repentis : Kachalla et Ibrahim. Dans ce premier volet, ils nous racontent comment ils ont basculé dans l'islamisme armé.

De notre correspondant au Nigeria,
Kachalla s'applique à chaque coup de marteau. Il mise sur la qualité de son travail de charpentier. Pas facile de changer le regard de ses voisins, surtout quand on est un ancien Boko Haram. Fin 2014, quand Abubakar Shekau et ses troupes prennent le contrôle de Bama durant six mois, ils ne laissent pas beaucoup de choix aux hommes vivant sur place : s'engager ou bien être égorgé.
« À ce moment-là, nous n'avions pas le choix. Nous étions contraints de travailler pour eux, nous ne pouvions donc pas refuser. Nous devions nous plier à leurs exigences, sinon ils nous auraient tués. Si vous ne leur obéissiez pas, ils vous disaient : "D'accord, vous n'acceptez pas notre idéologie, alors nous allons vous tuer". Nous devions donc obéir de force à ce qu'ils nous demandaient », raconte Kachalla.
En 2014, Ibrahim est déjà un membre actif de l'ISWAP au Nigeria. Lui, c'est par adhésion qu'il s'enrôle à l'âge de 19 ans. Ibrahim était un fidèle de Mohammed Yusuf, le fondateur de la secte salafiste surnommée Boko Haram. À partir de 2007, comme plusieurs adeptes, Ibrahim se retranche à Markaz, le quartier de gare ferroviaire de Maiduguri.
« Nous avons rejoint Mohamed Yusuf pour assister à ses cours islamiques. Nous sommes devenus tellement accros que cela nous est resté gravé dans l'esprit. Nous avons fait nos valises pour aller vivre avec notre guide spirituel jusqu'à ce que les choses dégénèrent », explique Ibrahim.
« Tous les villageois étaient membres de Boko Haram »
Pris dans l'engrenage, Ibrahim se radicalise malgré son attachement à ses études universitaires. C'est à travers une lettre d'adieu, remise à ses parents, qu'il coupe les ponts. Ibrahim s'exile dans la périphérie de Baga, une localité au bord du lac Tchad.
« Tous les villageois étaient membres de Boko Haram. Nous avons été attirés par leur idéologie. Le jour où nous les avons rejoints, ils nous ont donné en naira l'équivalent de 650 euros et une moto neuve. Puis, ils nous ont emmenés dans leur campement. Et là, on est devenu membre à part entière », poursuit Ibrahim.
Kachalla et Ibrahim, disent aujourd'hui regretter d'avoir gâché plusieurs années de leur vie. Désormais repentis, ils ont conscience de n'avoir plus le droit à l'erreur.
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