Exposition: Matisse en Chine, le chef de file du fauvisme, ramène la couleur à Pékin
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Pour la première fois, les œuvres de Matisse sont présentées au public chinois. L’exposition Matisse by Matisse a ouvert ses portes ce week-end au centre d’art contemporain UCCA à Pékin. Un évènement en partenariat avec le musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis dans le nord de France, plusieurs fois reporté en raison des frontières chinoises fermées et de la guerre en Ukraine.

De notre correspondant à Pékin,
Ce sont peut-être les prières de la chapelle du rosaire à Vence réalisée par Henri Matisse, ajoutés aux efforts de chacun mis bout à bout, à Pékin comme au Cateau-Cambrésis d’où proviennent l’ensemble des œuvres de cette première exposition consacrée à l’inventeur du Fauvisme, qui ont permis à l’évènement de se tenir.
« C’est un petit miracle pour lequel on a travaillé d’arrache-pied pendant toute la période Covid », explique Victoria Jonathan, cofondatrice de l’agence culturelle Doors à Pékin. « C’est un projet qu’on a initié il y a quatre ans à la suite de l’expo Picasso organisée à l’UCCA déjà à l’époque. L’exposition Matisse devait avoir lieu il y a 18 mois, mais en raison du contexte international, de la fermeture de la Chine, du fait que les convoyeurs ne pouvaient pas accompagner des œuvres d’une valeur inestimable, on a dû décaler plusieurs fois l’exposition. »
Victoria Jonathan poursuit : « Là, on est vraiment très heureux, car c’est l’une des premières expositions post "zéro Covid" en Chine, une période durant à laquelle la Chine a été fermée, durant laquelle ce qui a été appelé l’influence occidentale a été dénigrée. Alors que le pays se rouvre, que des expositions comme celle-ci peuvent se tenir, on sent une vraie soif de découvrir les œuvres d’artistes occidentaux en Chine », souligne-t-elle.

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« On n'a pas souvent l'occasion de voir une telle puissance dans la singularité du trait et des couleurs »
Preuve de cette appétence, depuis déjà plusieurs semaines les ventes de tickets en ligne fonctionnent plutôt bien. Les expositions d’artistes occidentaux ont manqué ces dernières années en Chine, explique Maurice qui se souvient encore de l’expo impressionniste qu’il avait vue au Musée d’art national dans les années 2000.
« Il y avait beaucoup de monde », raconte ce jeune galeriste qui a fait des études aux beaux-arts de Lyon et qui s’est choisi un prénom français. « On était tellement heureux de découvrir Monet, Manet et les autres. C’est pareil aujourd’hui pour Matisse. On n’a pas souvent l’occasion de voir une telle puissance dans la singularité du trait et des couleurs. L’art chinois dans les musées à Pékin, c’est beaucoup l’encre, le noir et blanc. Pour découvrir les artistes contemporains, il y a les petites galeries. Mais ce serait bien, si on avait davantage d’échanges entre les grands musées chinois et étrangers. »

Une simplicité dans les œuvres de Matisse appréciée
Tableaux, textiles, sculptures... Près de 280 chefs-d'œuvre du musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis exposées sur un plateau de 2 000 mètres carrés permettent de suivre les pas de l’artiste et l’évolution de son œuvre. « J’apprécie sa quête de simplicité. C’est un créateur qui a su se renouveler pendant une époque très turbulente », lance un ingénieur spécialiste du traitement de données, en capturant sur son téléphone les dessins de visages de Matisse.
« La simplicité du trait redonne vie à la personnalité de ses modèles », estime Xinka. « Pour moi, c’est un chercheur de plaisirs qui dans ses œuvres met en avant les bonheurs du quotidien. J’aime les couleurs, mais surtout les formes chez Matisse », poursuit cette modiste croisée dans l’espace de l’exposition consacré au travail autour du textile. Dix sections retracent la vie du peintre, la onzième évoque son influence sur la scène artistique chinoise.

« L'influence de Matisse commence dans les années 1920 », indique Huang Jiehua, la directrice adjointe du département de publication et de recherches de l’UCCA. L'expressivité de la ligne et de la couleur impressionne beaucoup les artistes chinois. À ce moment-là, on traduit la peinture à l'huile comme une peinture occidentale. »
Un intérêt pour Matisse qui perdure
Le mouvement du 4-Mai de la « rénovation culturelle », la peinture à l’huile ramenée d’Occident par Liu Haisu de l’école de Shanghai, très impressionné par Matisse lors de son séjour en France. « La peinture à l'huile, une fois introduite en Chine, va suivre deux courants. Un courant moderne et un courant, disons, classique. Matisse était considéré comme un leader des modernes. Beaucoup de Chinois se sont intéressés à lui », rappelle Dong Qiang, professeur de littérature française à l’université de Beida.

Un intérêt qui perdure chez les jeunes artistes, notamment pour ce qui est des découpages et le processus de création perçu comme une œuvre d’art, comme la scénographie de l’exposition d’ailleurs. Matisse souhaitait que les œuvres soient présentées sur des fonds blancs, mais les concepteurs de l’expo voulaient quand même ajouter des bandeaux de couleurs... à la Matisse. Comment ils ont fait ? Ils ont découpé le plafond.
« On a pris comme option de dire : "on va travailler un peu comme Matisse" », explique Pascal Rodriguez, designer. « C'est-à-dire s'il avait eu une grande feuille de papier. Et on s'est amusé – puisque l'exposition est couverte d'un plafond –, on a découpé dans chaque salle des formes qui auraient pu être découpées par Matisse. »
Destination Shanghai
« On m’a accordé une grande liberté, ce que j’ai pu faire ici, je n’aurais pas pu le faire en France où Matisse et Picasso sont des totems », se réjouit encore Pascal Rodriguez. Outre cette liberté et l’enthousiasme des premiers visiteurs, l’exposition bénéficie du soutien de nombreux sponsors, dont un constructeur chinois de véhicules électriques -Nio et Matisse, après Citroën et Picasso- et probablement d’une bonne étoile.
Pour l’inauguration jeudi, certains ont croisé les doigts pour que les nus de Matisse ne froissent pas la censure. C’est passé sans souci. Après Pékin, Matisse by Matisse pourra donc se rendre à Shanghai le 3 novembre prochain, date de l’anniversaire de la mort du peintre et jusqu’au 18 février 2024. L’exposition est mise en avant par le service culturel de l’ambassade de France en Chine comme un symbole du renouveau des relations France-Chine qui fêteront l’année prochaine leurs 60 ans.
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