Alors que le ministère de l’Écologie vient de lancer un plan pollinisateur destiné à protéger la biodiversité, les apiculteurs ont peur pour leurs abeilles. Car entre les autorisations provisoires des néonicotinoïdes et les autres traitements, les produits phytosanitaires utilisés en agriculture intensive continuent à tuer les insectes, pollinisateurs ou non. Rencontre avec des apiculteurs de la région nantaise.
Des pesticides tueurs d'abeilles
En France, jusqu’en 1994, les apiculteurs étaient déjà confrontés aux pesticides aériens, mais quand les néonicotinoïdes, des pesticides neurotoxiques, sont arrivés, vendus sous les noms de Gaucho, Cruiser et Régent notamment, par les géants de l’agrochimie, ils ont causés des hécatombes chez les abeilles et les autres pollinisateurs. Utilisés sur les tournesols, le colza et le maïs, ils ont entraîné l’effondrement des ruches et la perte de la production de miel, puis la ruine des apiculteurs dont certains ont même été poussés au suicide.
S'est ensuivi une cascade de combats juridiques entre les apiculteurs, les ministères et les fabricants, pour prouver la toxicité des produits, combats qui ont abouti à une succession d’interdictions et de ré-autorisations. En face des apiculteurs, les agriculteurs conventionnels, qui travaillent sur de grandes surfaces en monoculture, ont fait de la résistance malgré la toxicité des produits, car ces insecticides sont pratiques : ils évitent d’autres traitements pendant la saison.
Une contamination massive
Les néonicotinoïdes, le plus souvent des dérivés chlorés ou soufrés - Imidaclopride, Thiaméthoxame, Clothianidine - sont des insecticides systémiques, c'est-à-dire qu’une fois appliqués sur la graine, ils se diffusent dans l’intégralité de la plante, allant jusqu’aux fleurs, puis dans le nectar, et ils restent actifs pendant tout le cycle de la plante.
Quand les abeilles butinent, elles s’intoxiquent et les néonicotinoïdes détruisent leur système nerveux. Ils ont sur les abeilles des effets sub-létaux, c’est-à-dire qu’ils ne les tuent pas directement, mais les paralysent et les désorientent au point qu’elles ne savent plus retourner à la ruche.
Ces insecticides sont également mis en cause dans la disparition des oiseaux des champs qui mangent des insectes intoxiqués. De surcroît, ils se dégradent lentement, se diffusent dans les sols, contaminant les cours d’eau et peuvent s’envoler sous forme de poussière vers d’autres fleurs.
C’est finalement toute la chaîne alimentaire qui est touchée : une étude de l’ONG Générations Futures en octobre 2020 a montré que 10,7% des aliments végétaux français contiennent des néonicotinoïdes.
Des apiculteurs démunis
Loïc Leray, apiculteur et président du Centre d’Étude Technique Apicole de Loire-Atlantique, est très inquiet : cinq néonicotinoïdes avaient été interdits en raison de leur toxicité en 2018, mais en 2020, les cultivateurs de betteraves ont obtenu une dérogation d’urgence pour combattre le puceron vert dans 17 pays européens dont la France, une autorisation qui vient d’être approuvée par la Commission européenne.
Les apiculteurs avouent qu’ils sont démunis face à cette menace : « à part fuir les zones de grandes cultures et déménager les ruches, on ne peut rien faire, mais c’est la loterie, car les parcelles enrobées ou traitées ne sont pas identifiées et les abeilles vont jusqu’à 5 ou 6 km de la ruche » assure Loïc Leray.
Depuis les interdictions, les ruches se sont repeuplées, mais l’apiculteur qui avait perdu la majorité de ses abeilles ne veut pas revivre ça : « C’est traumatisant, imaginez un agriculteur qui arrive et voit 60% de ses bêtes mortes : voilà ce qu’on ressent en arrivant devant un rucher intoxiqué ».
Pour Antoine Caron, conseiller scientifique de l’Union Nationale de l’Apiculture Française, le risque, c'est que les dérogations perdurent : « La recherche de produits de remplacement n’a pas été faite sérieusement (…) aujourd’hui c’est la betterave et demain une autre culture ».
Un Plan pollinisateur insuffisant
En plus des néonicotinoïdes, d’autres insecticides, herbicides et fongicides menacent les insectes pollinisateurs.
Dans l’objectif de restaurer la biodiversité, le gouvernement français vient de lancer son Plan pollinisateur 2021-2026, demandant notamment une réévaluation des produits phytosanitaires. Le ministère de l’Agriculture a quant à lui publié au Journal officiel le 20 novembre, avec entrée en vigueur le 1er janvier 2022, un arrêté « abeilles » : si un traitement est autorisé pendant la floraison, il doit être réalisé dans les deux heures qui précèdent le coucher du soleil, et les trois heures qui le suivent.
Mais c’est insuffisant aux yeux des apiculteurs : « Deux heures avant le coucher du soleil nos abeilles sont encore en action, à 21h, elles travaillent toujours et elles sont pulvérisées dans les champs », répond Loïc Leray, « en plus, nos petites abeilles aident à la pollinisation, elles aident les agriculteurs ».
Et il conclut : « Si les apiculteurs arrêtent, c’est la disparition des abeilles et après, c’est l’effondrement total, on ne se rend pas compte du service rendu par les pollinisateurs (…) ce qui nous a fait tenir, c’est cette fabuleuse société abeilles, il faut les maintenir en vie, c’est très difficile, mais je me bats pour l’avenir ; si nos enfants continuent à manger des fruits et légumes, ce sera grâce à l’effort qu’on fait aujourd’hui ».
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© {{ scope.credits }}En savoir plus :
L’Union Nationale des Apiculteurs Français - UNAF
Centre d’Etude Technique Apicole de Loire Atlantique - CETA 44
Générations Futures - Enquête sur les néonicotinoïdes
Arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles
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