Reportage France

«Je redoute les factures»: un agriculteur normand raconte son quotidien

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Charges trop élevées, gasoil trop cher, normes trop restrictives… Les motifs de la contestation des agriculteurs français sont nombreux et différents selon les exploitants et les régions. Illustration dans le village de Critot, en Normandie, où Bertrand Van Elslande est agriculteur et éleveur de bovins depuis 27 ans.

Bertrand Van Elslande agriculteur et éleveur de bovins depuis 27 ans.
Bertrand Van Elslande agriculteur et éleveur de bovins depuis 27 ans. © Baptiste Coulon / RFI
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« Voilà un exemple très concret : l’an dernier, j’avais 97 000 euros de charges, un an avant, j’en avais 70 000 », détaille Bertrand Van Elslande, bilan comptable en main. À 52 ans, cet agriculteur est éleveur de 70 bovins, « de vache allaitante, un taureau, des taurillons et des génisses », à Critot, près de Rouen, en Normandie. Cela fait 27 ans qu’il exerce dans la profession, après plusieurs années comme professeur en lycée agricole. Il est aujourd’hui quasiment propriétaire des 130 hectares de terres qu’il possède.

Depuis plusieurs mois, ses coûts de production ont explosé, notamment les aliments destinés à nourrir ses bêtes : céréales, pommes de terre et betteraves : « Les betteraves qu’on vendait 23 euros la tonne il y a trois ans, elles valent aujourd’hui 45 euros la tonne », dit-il. Le prix de vente du kilo de viande a eu beau augmenter, le coût de production a suivi la même tendance. Résultat, l’éleveur s’estime perdant. « Malgré une augmentation de deux euros du prix de la viande, qui nous rapporte désormais 1000 euros par animal, on a eu une augmentation de plus de 1000 euros du coût de production par animal. Donc le bénéfice net est inférieur à ce que l’on avait avant », déplore-t-il.

Gronde contre la hausse du gasoil

Au cœur de la colère des agriculteurs français, il y a aussi l’augmentation du prix du GNR, le gazole non-routier. Bertrand Van Elslande l’utilise pour faire rouler ses trois tracteurs et sa moissonneuse-batteuse. La facture a doublé depuis un an. « C’est d’autant pire qu’on utilise ces engins agricoles toute la journée. Quand on fait une journée de moisson par exemple, la moissonneuse-batteuse est utilisée entre 8 et 10 heures par jour, ce qui représente 800 litres de carburant consommés à la journée », indique-t-il.

L’éleveur se verse un revenu équivalent au salaire minimum. Comme d’autres, il bénéficie aussi des aides européennes, via la PAC, la Politique agricole commune. Les syndicats exigent qu’elle soit versée immédiatement, sans aucun retard. Pour Bertrand Van Elslande, la PAC représente la moitié de ses revenus annuels et beaucoup de galère. « Avant, on touchait la PAC en deux fois. Cette année, je l’ai touchée en huit fois, avec un retard de paiement de plus de trois mois ! Est-ce que n’importe quel Français accepterait d’être payé par son patron avec un mois et demi de retard et une somme divisée par deux en moins de 15 ans ? », s’interroge-t-il. Et de poursuivre : « Tant que les rentrées d’argent sont supérieures aux factures, on tient le coup. Quand ce n’est pas le cas, on est obligé de tirer dans le capital privé pour boucher les trous. Parfois, je redoute les factures et je me pose des questions, à savoir : est-ce qu’il faut continuer le métier ? »

Un métier que Bertrand Van Elslande ne reconnaît plus, notamment en raison des lourdeurs administratives « Dès lors que l’on fait quelque chose dans les champs, il faut tout enregistrer et payer quelqu’un encore en plus pour que ce soit enregistré conformément à ce que demande l’État. Quand on remplit les papiers, on n’a pas le sentiment d’être agriculteur, on a plutôt l’impression d’être une secrétaire et on se demande pourquoi notre boulot est un boulot de secrétariat et non pas de produire pour nourrir les Français. On aura bientôt plus de personnes dans l’administration que dans les fermes ».

« Je me demande comment les jeunes font pour se donner un objectif de carrière », reprend Bertrand Van Elslande. Les jeunes constituent l’enjeu des années à venir dans le secteur agricole, car un tiers des agriculteurs français seront en âge de partir à la retraite dans dix ans.

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