Chine: face au ralentissement de l’économie, la vente en streaming pour revitaliser les campagnes chinoises
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En Chine, la vente directe en streaming peut-elle contribuer à la revitalisation des campagnes et permettre de trouver un emploi localement aux jeunes qui fuient vers les mégalopoles ? Selon les chiffres du ministère chinois du Commerce, en août dernier, les zones rurales comptaient plus de 17 millions de ces influenceurs sur les chaînes vidéo des réseaux sociaux.
De notre correspondant à Pékin, avec Louise May du bureau de Pékin,
Suning se trouve à moins de 200 kilomètres de Pékin, autant dire une promenade à l’échelle de ce pays continent. Et pourtant, c’est bien l’impression d’un retour en arrière, loin de la vie trépidante de la capitale chinoise, que ressent le voyageur pendant ces trois heures de trajet avant d’arriver à ce petit comté de la province du Hebei - qui compte 340 000 habitants -, au nord du fleuve Jaune.
Dans le train, il y a la fumée de cigarette qui s’échappe des toilettes, l’odeur du thé et des nouilles instantanées dans les compartiments couchettes ouverts sur le couloir. Il y a aussi le film qui défile par la fenêtre du vieux train vert, ses paysages de champs de maïs et de prairies en cinémascope, avec des moutons noirs et blancs que les voyageurs comptent pour passer le temps.
Un eldorado numérique
Le TGV n’est pas encore arrivé ici, mais le live streaming [la diffusion en direct, NDLR] est partout dans les villages, comme chez monsieur Liu. Oreilles décollées, sourire accueillant, cet entrepreneur de 36 ans a repris l’affaire familiale spécialisée dans le matériel de pêche.
« On a commencé les ventes en direct l’année dernière, raconte-t-il. Avec un téléphone portable, une personne peut s’adresser à une foule de clients. C’est comme si on était dans un hypermarché. On a des clients dans toutes la Chine. Et puis il y a tous ces jeunes diplômés qui après avoir terminé leurs études, tentent une première expérience dans le live streaming. » « C’est un métier pour les jeunes, il n’y a pas de vieux influenceurs », ajoute le jeune patron qui suit les fluctuations des connexions et des ventes sur son ordinateur comme le lait de soja sur le feu. L’entreprise aurait déjà embauché plus d’une dizaine de jeunes du cru et pas simplement celles et ceux qu’on voit à l’écran.
Faux cils, maquillage épais, cette jeune femme, croisée chez une autre commerçant du comté, mouline dans le vide avec une longue canne à pêche : « Par ici, vous pouvez espérer gagner entre 500 à 650 euros par mois dans les ateliers ou dans les commerces, confie cette dernière après avoir décroché des projecteurs et de son smartphone. Or certains livestreamers gagnent cela en une journée. Et ils s’achètent des voitures, des appartements. Bon après, on est tellement nombreux maintenant à faire de la vente en direct sur internet que c’est difficile de percer. »
Dans cet eldorado des nouveaux métiers du numérique, il y a ces paysans du net qui pour certains deviennent de véritables stars. Mais il y a tous ceux qui encadrent ces ventes en ligne : les agents de service qui répondent le plus vite possible aux questions des clients, les modérateurs de commentaires etc.
Pêche à l’emploi
Le live streaming, nouvel eldorado de la jeunesse fatiguée de l’usine ou des livraisons ? Et à Suning, l’emploi est-il au bout de la ligne ? Plus de 6 500 magasins d’articles pour la pêche à la ligne ont en effet été recensés dans le comté. Une activité qui aurait permis de trouver du travail à un quart de la population locale, rapporte le quotidien Jiang Minyu. Selon le directeur du Centre de services de développement de l'économie numérique local, cité par le journal, 30 000 habitants de la région travaillent directement dans le commerce électronique et 85 000 sont employés dans l'emballage des produits, la production de vidéo et autres travaux connexes. Chez Monsieur Liu, quatre livestreamers se relaient pour les ventes, à raison de 16 heures de sessions par jour. Les heures de pointes arrivant en fin de journée : « quand les gens rentrent du travail, ils ont du temps pour le shopping », explique-t-il.
L’étage au-dessus des studios sert d’entrepôt au matériel, avec des rayonnages entiers remplis de cannes à pêche destinés à tous types de clients, sur un marché du loisir qui ne cesse de prendre de l’ampleur, notamment la pêche en tant que divertissement. En Chine, les armes à feux sont interdites et il n’y a pas de chasseurs. En revanche, de plus en plus de Chinois vont tâter le bouchon. La pêche sportive attire un public de plus en plus jeune. Les moins de 24 ans représentent 22% des 140 millions pêcheurs amateurs du pays, indique le China Daily, ce qui contribuerait à ces ventes exceptionnelles qui font les gros titres. En juillet dernier, un « radio diffuseur villageois » aurait ainsi attiré, selon China News, 150 000 téléspectateurs lors d’une diffusion en directe de trois heures. Le volume des transactions aurait dépassé les 13 000 euros.
Miracle ou mirage ?
« Il est de plus en plus difficile de gagner sa vie dans les grandes villes comme travailleurs migrants. Il n’y a plus assez d’emploi, insiste Monsieur Liu. Si vous restez dans votre région d’origine et que vous faites de la vente en direct, vous pouvez gagner davantage. Chaque année, des gens deviennent riches ici avec le live streaming. »Outre le matériel de pêche, la spécialité locale ce sont les tee-shirts, explique encore le chauffeur qui nous conduit devant un centre de distribution où les live streamers viennent s’approvisionner en vêtements qu’ils vendront en ligne. En ce début d’après-midi, les boutiques de ce village commercial sont vides. « Les influenceurs sont au travail, la plupart sont passés ce matin, ils travaillent à domicile près des usines », affirme un gardien.
Dans un des magasins, monsieur Wu applique des autocollants à imprimer sur des sweatshirts qu’il passe ensuite sous sa nouvelle machine à presser. « Les affaires sont plutôt bonnes, il y a quelques jours, j'ai vendu quelques milliers de sweatshirts à la Russie », dit-il. « Nous sommes dans une ville du vêtement et 20% des jeunes ici font de la vente en ligne en direct. » Un miracle de la vente en streaming. Cette patronne d’usine est plus mesurée : « Cette année, les ventes ne sont pas très bonnes. Avec la vague de chaleur, on a vendu moins de polos. Et puis, ajoute Madame Xu, il y a tous ces jeunes qui se lancent dans la vente en ligne. Certains parlent pendant des heures, mais devant personne. Faute de clients, ils finissent par jeter l’éponge. »
En attendant, selon les chiffres officiels, cette numérisation des campagnes aurait contribué au retour de 12,2 millions de personnes dans leur village natal, créant plus de 34 millions d’emplois ruraux.
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