Yuval Bitton, le dentiste et agent du renseignement israélien qui a sauvé la vie du chef du Hamas
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Il y a huit mois, une attaque meurtrière est lancée contre Israël, dont le cerveau s'appelle Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza, considéré comme l’ennemi public numéro un par les Israéliens. Traqué et introuvable, les renseignements israéliens le connaissent pourtant intimement, car il a passé 22 ans derrière les barreaux en Israël. Durant sa détention, il a été opéré à la suite d’une tumeur au cerveau découverte par le dentiste de sa prison.

« Le Hamas est un mouvement de résistance islamique », explique Yuval Bitton dans un mélange d’hébreu et d’arabe. Il y a 20 ans, dans une autre vie, ce dentiste israélien reçoit dans son cabinet en prison un détenu. Matricule : 73 33 33 5. Nom : Sinouar. Prénom : Yahya.
« J’ai soigné Sinouar à plusieurs reprises à l’époque, raconte-t-il. Mais en 2004, je lui ai sauvé la vie. Il s’était présenté au dispensaire de la prison, parce qu’il se sentait mal. J’ai compris qu’il était en train de faire un AVC. On l’a envoyé à l’hôpital Soroka de Beer Sheva, où il a été opéré d’urgence. Il avait une tumeur qui lui appuyait sur le cerveau. Il s’en est sorti. Et par la suite, il m’a remercié de lui avoir sauvé la vie. »
Quatre ans plus tard, en 2008, le dentiste troque sa blouse blanche contre un uniforme d’officier. Il est désormais agent du renseignement. Avec du recul, regrette-t-il d’avoir sauvé la vie de Yahya Sinouar ? Sa réponse est « non », tout simplement. « D’abord parce que je suis médecin. Et ensuite parce qu’en tant que juif, j’ai des valeurs. J’ai grandi avec. Je ne suis pas motivé par la haine de mon ennemi », explique-t-il.

En prison, Yuval Bitton côtoie Yahya Sinouar, mais aussi tous les futurs leaders du Hamas. « J’ai passé des centaines d’heures à discuter avec Sinouar, avec Salah Arouri, Taoufik Abu Naïm, toute la direction du Hamas, énumère-t-il. Ce que je peux dire sur Sinouar ? C’est qu’il reflète très fidèlement le Hamas de Gaza qui est différent du Hamas de Cisjordanie. À Gaza, la branche du Hamas est très radicale. Pour ces gens, il n’y a ni compromis, ni dialogue, ni paix. Ils ne mènent pas une lutte nationale palestinienne. Ils mènent une guerre de religion. C’est le jihad. Point. »
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En 2011, ces responsables du Hamas sont libérés dans le cadre d’un échange de prisonniers. Yuval Bitton s’y oppose. Pour lui, c’est une très mauvaise décision. « Ce qui s’est passé le 7 octobre ? Ce n’est pas seulement que je m’en doutais. Mais je savais que ça allait arriver. Je l’ai entendu. Les gens du Hamas ne l’ont jamais caché », regrette-t-il.
À la question : pourquoi le gouvernement israélien a-t-il accepté, en connaissance de cause, de financer le Hamas toutes ces années, Yuval Bitton répond en détaillant les raisons, avec dépit et lucidité. « Israël a commis une erreur stratégique, affirme-t-il. Premier point : nous n’avions pas compris qu'on ne pouvait pas acheter une organisation religieuse. Avec de l’argent, on ne fait qu’alimenter son fanatisme. Second point : on s’est dit que c’était bien d’avoir l'autorité palestinienne en Cisjordanie, et le Hamas à Gaza. Ils se détestent. Diviser pour mieux régner. Au lieu d'écraser le Hamas en 2007 lorsqu’il a pris le pouvoir à Gaza, on l’a laissé prospérer. On a mis en place une barrière, en pensant que ça allait suffire à les enfermer. C’était une erreur fatale, et encore une fois une incompréhension totale de la situation. »
Le 7 octobre 2023, le Hamas perce la barrière de sécurité à 29 endroits et mène l’attaque la plus meurtrière de l’histoire d’Israël. Près de 1 200 morts, dont le neveu de Yuval Bitton.
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