Reportage international

«Dis-moi à quel jeu tu joues» en Argentine: le truco

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« Dis-moi à quel jeu tu joues, je te dirai qui tu es », c’est notre série d’été sur RFI, à la découverte ou la redécouverte de ces jeux populaires qui sont au cœur de nos cultures et de nos identités. Aujourd’hui, direction l’Argentine, pour une plongée dans un jeu de cartes, le truco qui n’a rien à envier au football dans le panthéon des passions nationales. Le truco peut se jouer seul ou en équipe. Le principe est simple : remporter le plus de plis en maniant ruse et stratégie… Le truco, une passion argentine.

Des cartes du jeu Truco. [Image sous licence GNU Free Documentation License, Version 1.2]
Des cartes du jeu Truco. [Image sous licence GNU Free Documentation License, Version 1.2] © Lin Linao via Wikimedia Commons.
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De notre correspondant à Buenos Aires, 

« Ça va ? Je suis Gabriel, je viens du nord de Buenos Aires, j’ai 48 ans et je suis là pour participer au tournoi de Truco avec mes amis ! ». Un dimanche soir à Buenos Aires… Véritable institution ouverte en 1912, le café San Bernardo résonne du brouhaha habituel occasionné par les amateurs de ping-pong et de billard… Dans un recoin, huit tables, six joueurs par table, des jeunes, des moins jeunes, surtout des hommes. Et sur les tables, la bière, les verres, un petit carnet, et les cartes…

« On a perdu de quatre points ! Ça ne s’est pas bien passé, on a manqué d’un tout petit peu de chance… Mais bon, le "truco" (prononcé Trouko) c’est l’amitié, l’argentinité, et passer un bon moment… c’est comme ça que je le vois ».

Authentique passion argentine, le truco se joue pourtant avec des cartes dites espagnoles numérotées de une à douze, et sur lesquelles figurent le bâton, le denier, la coupe et l’épée… « Ce sont les Espagnols qui l’ont apporté, mais les vieux Gauchos ont adapté les règles pour se l’approprier et en faire un jeu plus autochtone, plus national, plus à nous ! Dans chaque maison, toutes les familles ont un jeu de cartes pour jouer au Truco… ».

Impossible pour Gabriel de se souvenir du moment où il a appris à jouer : « Mon père m’emmenait aux réunions avec ses amis, ils se retrouvaient pour jouer. Et toute la nuit, c’étaient les rires, les embrassades, les blagues. Alors moi, tout petit, je me suis dit : je veux apprendre ça. Du coup, c’est comme continuer une tradition — une tradition familiale, mais aussi nationale ».

Les règles du truco dans une main, un stylo dans l’autre pour noter les scores, Romina se glisse parmi les joueurs. Passionnée par les jeux, c’est elle qui organise le tournoi : « Quand on est petit, on joue, et puis on grandit, et tout à coup, on est censé être sérieux ». Maintenant, tu es adulte et tu n’as plus le droit de jouer, mais pourquoi ? Pourquoi tu ne pourrais plus jouer parce que tu es grand ? Alors ce bar, un peu, c’est ça. L’idée, c’est de jouer. C’est l’essence même ».

Ce que Romina aime par-dessus tout, ce sont les rencontres improbables suscitées par le truco : « Dans certains tournois, il arrive souvent qu’il y ait un vendeur d’avocats qui joue peut-être avec le propriétaire d’une marque de vêtements. Et dans le jeu, ils sont tous égaux, tu vois ? Ce sont des choses qui n’arrivent peut-être que dans ce genre de situations… Et puis, avec tout ce qu’on vit aujourd’hui, surtout sur le plan politique, jouer un peu, ça te déconnecte de la réalité ».

Dans l’arrière-salle d’un gymnase qu’il administre dans cette banlieue de Buenos Aires, José a fondé en 2015 rien de moins que l’association argentine de truco pour répondre à un problème majeur : « Le pays est très grand, et le truco n’avait pas de règlement unifié. Chacun jouait avec ses propres règles, et ça posait souvent des problèmes : "Non, non, moi, je joue comme ça. Moi, je ne joue pas comme ça". On a fait un règlement et on s’est dit : "Bon, et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?" ».

Sur les murs, des affiches à la gloire de Diego Maradona et Léo Messi… En Argentine, football et truco vont de pair, au point que le premier pourrait même redorer l’image du second : « L’équipe nationale a gagné la Coupe du monde. Et eux, ils jouaient au Truco tous les jours pendant le mondial. Ce sont des super-héros pour n’importe quel Argentin. Alors c’est comme s’il y avait eu un renouveau, un regain du truco. Oui, oui. Maintenant, je vois que les jeunes y jouent, tout le monde y joue. Le truco a fait son grand retour, tu vois ? On était en train de l’oublier, et d’un coup, c’est la fureur totale ».

Et demain le truco pourrait même s’exporter. La série argentine à succès El Eternauta diffusée au printemps s’ouvre sur une scène de truco, tant et si bien que José a été contacté par des fans au Japon qui souhaiteraient en apprendre les règles.

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