Reportage international

«Dis-moi à quel jeu tu joues» à Madagascar: le fanorona

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« Dis-moi à quel jeu tu joues, je te dirai qui tu es », c'est une série spéciale de RFI à la découverte des jeux populaires à travers le monde. Ces jeux qui, à travers les joueurs, parlent de la culture et de l'identité de chaque pays. Aujourd'hui, direction Madagascar avec le fanorona. Un jeu de stratégie ancestral créé sur la Grande Île, qui se joue en duel. Ses règles devaient être parfaitement maîtrisées par tous les héritiers de la royauté merina afin d’accroître leurs chances de remporter les batailles contre les autres royaumes. Le fanorona a depuis conquis tout le territoire, mais a perdu de son prestige au sein de la société, faute d’enseignement adéquat. Quelques irréductibles passionnés, convaincus de ses bienfaits sur la concentration et l’agilité cérébrale qu’il développe, s’efforcent aujourd’hui de le remettre au goût du jour.

Des joueurs de Fanorona à Tananarive, Madagascar.
Des joueurs de fanorona à Tananarive, Madagascar. © Sarah Tétaud/RFI
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De notre correspondante à Antananarivo, 

Sur les tables en béton érigées au pied des immeubles de la cité Analamahitsy, les pions rouges et bleus semblent comme danser sous les doigts des joueurs de fanorona. Sous le regard des badauds, Fetra Andriamampianina, dit Karana, l’actuel président de la fédération de fanorona de la région Analamanga, affronte son élève Jean-Marie Andriatsarafara, dit Zamabe, triple champion de Madagascar.

« Le fanorona est apparu pour la première fois au 16ᵉ siècle, sur les Hautes-Terres, dans la ville royale de Merimanjaka. Puis le jeu s’est répandu à l’extérieur du palais, et plus tard dans la rue et c’est comme ça que dans toute l’île, tout le monde s’est mis à jouer », explique Fetra Andriamampianina. 

Un jeu aux origines royales, donc, confirment les historiens. En témoignant d’ailleurs, les pierres à quadrillage que l’on retrouve encore aujourd’hui sur chacun des sites princiers répertoriés en Imerina. À l’époque, exceller au fanorona, c’était s’assurer d’être un bon stratège, y compris sur le champ de bataille.

Le champion Zamabe, lui, n’est pas un descendant royal. Toutefois, confie-t-il, ce jeu a totalement façonné sa vie : « Les chrétiens, ils ont la Bible. Les musulmans, ils ont le Coran, et nous les malgaches, on a le fanorona. Le fanorona, c'est notre livre divin. Parce que ça nous permet d’anticiper le futur, et le futur du futur. Ce jeu nous permet de tirer des leçons de vie, parce que contrairement aux autres jeux, quand tu comprends qu’un coup te détruit au fanorona, tu essaies de ne plus le refaire et tu t’obliges à prendre un autre chemin à l’avenir ».

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Contrairement aux échecs, le fanorona autorise plusieurs mouvements en un seul tour : « La plus belle chose que ça m’ait apportée, c’est de savoir analyser et prévoir. Être trop gourmand en voulant éliminer le plus vite possible les pions adverses, par exemple, ça peut te détruire. C'est comme dans la vraie vie. Et c’est pour ça que nous, joueurs de fanorona, on ne joue jamais aux jeux d’argent. On est capable de bien gérer notre salaire, notre nourriture, de penser au futur. C’est sûr que les principes de ce jeu pourraient être utilisés en politique parce que c’est beaucoup de stratégie. Mais je crois qu’aujourd’hui, non, personne ne s’en sert en ce moment... »

Comme chaque dimanche midi, Sariaka Razanamparany, fondatrice de l’association Pi Lalao, propose aux clients d’un restaurant tananarivien de redécouvrir des jeux, malgaches ou non. À cette table, cette grande famille a choisi le fanorona : « Ce sont des jeux qui ont été oubliés quelque part. Et ce qui fait que moi, dans mon métier, je vais vers les gens et je leur propose de jouer aux jeux traditionnels comme le fanorona. En réintroduisant ce jeu aussi, ça réintroduit le lien social finalement et entre les générations comme c'est le cas aujourd'hui où c'est un papa et son fils qui jouent ensemble et il n’y a vraiment pas d'âge et c'est ça qui est très intéressant. C'est universel ».

Bien plus qu’un simple jeu, le fanorona incarne une part de l’identité malgache. Héritage royal devenu outil d’éveil stratégique, il permet aujourd’hui à une nouvelle génération de se reconnecter à ses racines. Se réapproprier ce savoir, c’est renouer avec une mémoire collective, tout en s’aiguisant l’esprit, à la manière des ancêtres malagasy.

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