C’est la nouvelle stratégie de l’opposition au Sénégal face aux interdictions de manifester. Elle avait déjà été mise en œuvre il y a huit jours. La coalition Yewwi Askan Wi remet ça ce soir : un concert de casseroles ! D’où ce grand titre de Walf Quotidien : « Yewwi ressort les ustensiles »
Et le quotidien dakarois de préciser : « Ousmane Sonko et ses camarades ne comptent plus se battre contre l’État, décidé à les empêcher d’étaler leur colère sur la place publique. Ils veulent désormais rester chez eux pour faire du bruit avant d’aller aux élections (fin juillet) pour mettre en minorité le président Macky Sall à l’Assemblée nationale. (…) Pour se faire entendre, l’opposition a donc décrété un concert de casseroles de 30 minutes ce soir, à partir de 20 heures. Et il ne s’agira pas seulement de faire du bruit avec les casseroles. Les vuvuzelas et les klaxons des véhicules sont les bienvenus. »
« Le but de cette nouvelle initiative, pointe le quotidien 24 Heures, sera de montrer à Macky Sall qu’il va perdre la majorité à l’Assemblée nationale le soir du 31 juillet, et étouffer dans l’œuf toutes velléités de troisième candidature (à la présidentielle). »
Le site d’information Dakar Actu s’interroge : « dans ces casseroles, Yewwi trouvera-t-elle assez d’aliments de qualité pour calmer sa faim ? Mystère et boule de gomme… »
Changement de stratégie ?
En tout cas, c’est le soulagement dans la presse de la sous-région.
« La principale coalition de l’opposition met de l’eau dans son bissap », s’exclame WakatSéra au Burkina Faso. « C’est le moins qu’on puisse dire, Yewwi Askan Wi ayant reporté à une date ultérieure les manifestations qu’elle avait planifiées pour hier mercredi. Certes, elle est loin d’avoir déposé les armes dans son entreprise de protestation contre le rejet de sa liste nationale que doit conduire le remuant et populaire maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, mais qui a été retoquée, rappelle le site burkinabè, parce que viciée par la présence d’une candidate désignée comme titulaire et suppléante sur le même document. Une erreur, selon l’opposition, mais une faute éliminatoire, selon le ministère sénégalais de l’intérieur, en charge des élections. »
Et « en face, s’interroge WakatSéra, le pouvoir saura-t-il également mettre balle à terre pour sauvegarder la paix dans un pays qui en a tant besoin après les violences préélectorales de mars 2021 ? Pour l’instant, la seule stratégie du pouvoir sénégalais qui a consisté à interdire les marches et meetings, à embastiller des militants et à empêcher les leaders de se mouvoir selon leur volonté, cette stratégie n’a guère évolué et pourrait demeurer ainsi jusqu’à la tenue des élections. Le musellement de l’opposition est-il la meilleure manière pour se donner toutes les chances d’avoir une assemblée nationale acquise ? »
« La démocratie régresse au Sénégal »
Commentaire à lire dans Le Monde Afrique de l’historien sénégalais Mamadou Diouf : « la démocratie régresse au Sénégal. »
« Cette démocratie vit une grave dégénérescence, affirme-t-il. (…) Les opposants, aujourd’hui, en sont réduits à réclamer les mêmes droits qu’il y a quarante ans : celui de manifester, d’accéder aux médias publics, d’avoir des garanties de transparence en ce qui concerne l’organisation des élections. Vu le climat de tension actuel, si les leaders de l’opposition demeurent exclus des législatives du 31 juillet, une explosion de violences est à craindre. »
À la question du Monde Afrique, « êtes-vous inquiet pour l’avenir du Sénégal ? », Mamadou Diouf répond : « plusieurs pays voisins – la Guinée, le Burkina Faso, le Mali – ont connu ces dernières années d’inquiétantes crises politico-militaires avec le retour des putschs, l’intensification des violences entre communautés et la présence de djihadistes. Au Sénégal, on a tendance à croire à une forme d’exception, mais c’est une illusion. Le pays n’est pas à l’abri de ces dérives, prévient l’historien. (…) Beaucoup de Sénégalais se sentent pris au piège et n’ont rien à perdre. Quand je vois tous ces étudiants qui révisent leurs leçons sous les lampadaires jusqu’à tard dans la nuit sur le campus de l’université de Dakar, cela me fend le cœur. Le pays leur offre si peu de perspectives. Que feront-ils de leur avenir ? Tout comme le silence de l’État quand trois personnes périssent dans des manifestations, comme ce fut le cas dernièrement. Pour éviter l’affrontement sanglant entre le régime et cette frange de la population éreintée, conclut Mamadou Diouf, le dialogue est vital. »
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne