Ça fait débat avec Wathi

Au Soudan, un conflit armé de plus: changer le narratif sur l’Afrique ou changer la réalité en Afrique?

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Gilles Yabi nous parle aujourd’hui de la guerre en cours au Soudan et de la nouvelle tragédie que cela représente pour tout le continent africain. 

Gilles Yabi.
Gilles Yabi. Archive de Gilles Yabi
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Des combats dans les rues et des bombardements aériens dans une capitale de 6,3 millions d’habitants. Déjà plus de 750 morts, plus de 700 000 déplacés, plus de 150 000 personnes qui ont fui le pays par tous les moyens possibles. Vers l’Égypte, le Tchad et même le Sud-Soudan, lui-même à peine sorti d’un cycle interminable de violences depuis l’indépendance de cet État qui faisait partie du Soudan jusqu’en 2011. 

Voilà donc où on en est dans ce pays dont la superficie, 1 886 068 km², en fait le troisième le plus vaste du continent africain, après l’Algérie et la République démocratique du Congo. Avec 45,66 millions d’habitants estimés, le Soudan est au 8ᵉ rang africain en termes de population, derrière le Kenya et devant l’Algérie. C’est donc ce Soudan que les ambitions politiques de deux généraux avides de pouvoir, Abdel Fatah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dagolo, Hemedti, ont brutalement plongé dans une guerre insensée depuis plusieurs semaines. Il suffit de regarder une carte du continent pour voir la centralité du Soudan et son importance stratégique, un accès à la mer Rouge et des frontières terrestres avec sept pays : l'Égypte, la Libye, le Tchad, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, l'Éthiopie et l'Érythrée. Ce n’est pas la liste des pays les plus stables, les plus en paix et plus démocratiques du continent.

Ce conflit au Soudan vient s’ajouter à un nombre déjà trop élevé de conflits armés plus ou moins intenses sur le continent

Le continent continue à se tirer plusieurs balles dans le flanc. Si elle s’inscrit dans la durée et cela représente un scénario crédible, cette guerre entre deux factions armées, bien peu sensibles au sort des populations civiles, va déstabiliser tous ses voisins si fragiles et au-delà. L’Éthiopie voisine, avec plus de 110 millions d’habitants, sort à peine d’une guerre civile atroce qui a opposé le gouvernement fédéral aux forces rebelles de la province du Tigré. 

Toutes les régions du continent ont en leur sein un pays, deux, trois ou même quatre en proie à des conflits armés. Et quand on rajoute les pays qui connaissent des violences localisées dans certaines parties de leurs territoires, ceux dans lesquels les manifestations politiques, les échéances électorales, les contestations de jeunes laissés à eux-mêmes débouchent régulièrement sur des morts, des blessés, des arrestations et des détentions massives, ceux parmi les plus stables qui jouent avec le feu, la liste devient très longue.

Ce constat vous ramène à la question du narratif sur l’Afrique…

Il y a quelques semaines encore, et ce n’était pas la première fois, un chercheur africain engagé de la diaspora me faisait le reproche de ne pas mener suffisamment la bataille du changement du narratif sur l’Afrique… L’interpellation est intéressante. Est-il plus important de changer le narratif que d’appeler à changer la réalité que vivent des millions d’Africaines et d’Africains dans les régions en proie à la violence, à la peur et à l’arbitraire ? Parce qu’il faudrait changer les narratifs sur l’Afrique marqués du sceau de l’ignorance, de la facilité, du mépris, du racisme parfois, doit-on refuser de voir que chacune des situations de conflit retarde l’ensemble du continent, fixe l’attention et les ressources des organisations régionales et africaines, et ne fait que renforcer la dépendance du continent à l’égard des acteurs non africains ? 

Derrière chacune de ces crises qui se prolongent, ce sont des vies africaines sacrifiées, des enfants traumatisés par l’expérience de la violence, privés de tout et notamment d’éducation, ce qui affectera profondément la trajectoire de plusieurs régions du continent pendant des décennies. L’Afrique n’a nullement le monopole de la guerre, de la violence et de l’insécurité. C’est une évidence. Ce n’est pas joli le quotidien de la guerre en Ukraine, de la violence aux quatre coins du monde. Mais la réalité sécuritaire qu’on voit un peu partout en Afrique devrait préoccuper au plus haut point ceux qui veulent simplement que les sociétés africaines aient davantage de chances de vivre dans la quiétude et la sérénité au cours des décennies à venir. Alors oui, le changement de narratif est sans doute important, mais pour nous le changement de la réalité est prioritaire.

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