Coup d’État au Gabon: l’entourloupe des hommes en treillis
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En avril 2021, vous évoquiez à cette antenne les dangers qui planent à moyen terme sur l’Afrique centrale. Vous parliez du « danger d’une conjonction de transitions politiques douloureuses et potentiellement violentes dans plusieurs pays au cours des prochaines années ». Le coup d’État militaire du 30 août au Gabon est-il le début possible d’une série ?

Gilles Yabi: J’avais parlé de cette région du continent à la veille de l’élection présidentielle au Tchad, dont le résultat ne faisait aucun doute. Elle devait permettre au président Idriss Déby, paix à son âme, de commencer un sixième mandat. Il perdait la vie brutalement moins de dix jours après le scrutin. Même si le Tchad a une histoire politico-militaire et guerrière très particulière, assez différente de celle des autres pays d’Afrique centrale, on pouvait considérer que la fin du régime d’Idriss Déby Itno, après trente ans au pouvoir, inaugurait déjà la période des bouleversements politiques dans la région.
Et ce qu’il s’y passe depuis lors, sous le fils Mahamat Déby Itno, devrait alerter sur le caractère indéterminé des transitions politiques qui s’ouvrent, lorsqu’un dirigeant autoritaire disparaît politiquement ou physiquement : il n’y a aucune garantie que cela débouche sur la rupture politique intimement désirée par la majorité des populations, notamment les jeunes.
Alors oui, au Gabon, le remplacement du père, Omar Bongo, décédé en juin 2009, par un de ses fils, Ali Bongo, eut lieu depuis l’année 2009 et une première élection jugée frauduleuse. Quatorze ans plus tard, c’est moins d’une heure après la proclamation des résultats -à nouveau vraisemblablement frauduleux- qu’Ali Bongo Ondimba a été déposé par des militaires menés par le chef de la garde républicaine. Même si le fils et conseiller d’Ali Bongo le plus en vue, Noureddin Bongo, a été de très vite arrêté et qu’il ne prendra clairement pas la succession, le nouvel homme fort de Libreville, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, n’est pas si éloigné de la grande famille qui gouverne le pays depuis plus de cinquante ans.
RFI : Mais le renversement d’Ali Bongo par l’armée a été applaudi manifestement par la majorité des Gabonais. Cela ressemble à un coup d’État libérateur…
Oui, il n’y a pas de doute sur le sentiment de libération de l’emprise du pouvoir d’Ali Bongo, dans le contexte d’un processus électoral dont les règles et l’environnement n’ont cessé d’être modelés pour donner toutes les chances au président sortant d’être proclamé gagnant, même s’il perdait dans les urnes. En 2016, face à Jean Ping, pour proclamer la victoire d’Ali Bongo, il avait fallu sortir du chapeau un taux de participation invraisemblable de 99,9 % et un vote à 95,5 % en sa faveur dans la province du Haut-Ogooué, fief de la famille présidentielle. Dans la nuit du 31 août 2016, le quartier général du candidat Jean Ping était attaqué par hélicoptère, puis au sol par des troupes de la garde républicaine et de la police…
Cette année, le régime ne voulait manifestement pas prendre le risque de connaître de nouvelles contestations post-électorales : internet coupé, couvre-feu, tout était fin prêt pour une proclamation d’une nouvelle victoire du président sortant au milieu de la nuit. On comprend aisément que tout ce qui ressemble de près ou de loin à la chute du président Ali Bongo ait été accueilli par des vivats.
Mais c’est peut-être maintenant que la lutte pour le changement réel du système incarné par la famille Bongo va commencer, dites-vous
Oui, les déclarations du candidat de l’opposition à la présidentielle, Albert Ondo Ossa, sur TV5 Monde, ont surpris par leur clarté. Pour lui, la prise de pouvoir par le général Oligui est une « révolution de palais » qui vise à maintenir en place « le système Bongo » au bénéfice notamment de Pascaline, sœur d’Ali avec laquelle les relations sont réputées difficiles depuis longtemps.
Le général Oligui recevait déjà le patronat gabonais dans une cérémonie très officielle, parfaitement orchestrée et médiatisée, le lendemain de sa prise du pouvoir, avec l’assurance d’un chef d’État qui n’est pas là pour quelques semaines. Il entend prêter serment dès ce lundi 4 septembre devant la Cour constitutionnelle, institution temporairement rétablie pour cette occasion.
Si c’est bien Marie-Madeleine Mborantsuo, qui préside la Cour constitutionnelle depuis sa création en 1991, (depuis 32 ans donc) - une des personnalités les plus puissantes du système Bongo-, qui reçoit le serment du général Oligui, les Gabonais n’auront plus beaucoup de doutes sur le scénario qui est en train d’être méthodiquement déroulé : celui d’un coup d’État préventif contre la perspective d’une véritable démocratisation.
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