Ce que disent les théories économiques sur les déterminants des migrations
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La semaine dernière, nous évoquions ces migrants africains qui prennent le risque de mourir en mer ou dans le désert. Ils ne sont ni stupides ni suicidaires. Ce ne sont pas des criminels mais des jeunes qui veulent travailler. Aujourd’hui, Gilles Yabi, nous revenons sur les enseignements des théories économiques sur les migrations.

Oui, c’est parfois affligeant d’entendre des déclarations d’acteurs politiques en Europe parler des migrations comme s’ils n’avaient aucune idée de l’histoire de l’humanité, comme s’ils ne connaissaient pas l’histoire des migrations au sein de leur continent et celle des migrations européennes vers les autres continents. Et comme s’ils ne pouvaient pas s’intéresser un peu aux travaux de recherche académique divers et nombreux sur les migrations dans leurs universités. Je vais me limiter aux théories économiques des déterminants de la migration. Les économistes ont cette approche froide, basée sur la rationalité individuelle, certes critiquable à certains égards, mais qui a l’avantage de montrer qu’une partie significative des déterminants des comportements des êtres humains sont les mêmes que l’on soit Africain, Européen, Américain ou Asiatique.
Les théories économiques les plus récentes qui mettent en avant le capital humain sont plus riches et montrent la complexité des décisions migratoires contemporaines
Oui. Je me dois d’abord de saluer l’article de synthèse remarquable de l’économiste Flore Gubert, qui sert de référence à mon propos. Les théories du capital humain traitent la migration comme une décision individuelle d’investissement guidée par la volonté de tirer le meilleur parti de ses compétences. On choisit de migrer si les rendements du capital humain, une fois déduits les coûts liés au déplacement, sont supérieurs ailleurs que chez soi. Les coûts migratoires, outre les coûts monétaires du voyage, incluent les coûts d’information et les coûts psychologiques liés au renoncement à un mode de vie, à une proximité familiale et/ou sociale. Je pourrais mentionner le renoncement aux journées ensoleillées tout au long de l’année lorsqu’un Africain migre en Europe ou en Amérique du Nord. La décision de migrer va dépendre de plusieurs facteurs liés aux individus et pas seulement des caractéristiques des zones de départ et de destination. La probabilité d’émigrer va croître notamment avec le niveau de formation parce que les individus plus instruits sont plus à même de collecter et de traiter des informations pertinentes, et de réduire ainsi les risques liés à la migration. Cette relation peut paraître contre-intuitive, puisqu’on pense souvent que ce sont les moins formés et les plus pauvres qui migrent. Les liens entre probabilité de migrer, niveau d’éducation et niveau de revenu initial sont beaucoup plus complexes.
La migration peut aussi être envisagée comme résultant d’une décision non pas individuelle mais collective, notamment familiale
Tout à fait et c’est un des apports importants de la « nouvelle économie de la migration » qui envisage celle-ci comme un outil de diversification de risque. Cette théorie est pertinente pour comprendre les décisions migratoires dans des zones rurales où les familles dépendent de revenus agricoles très variables d’une année à l’autre et ne disposent pas de mécanismes d’assurance.
Le fait d’envoyer les membres actifs d’un ménage dans des endroits différents est une des solutions pour réduire les risques de se retrouver sans liquidités. Les envois de fonds des migrants viendront compenser une perte de revenu due à une mauvaise récolte, par exemple. La migration est donc envisagée comme un contrat implicite entre les migrants et leur famille d’origine. On peut comprendre ainsi la participation de plusieurs membres de la famille au financement du projet migratoire d’un des leurs.
La nouvelle économie de la migration introduit aussi l’hypothèse qu’un ménage n’évalue pas seulement son revenu en termes absolus, mais aussi relativement à celui des autres ménages qui constituent son groupe de référence. Par leurs transferts d’argent vers leurs familles, les migrants vont ainsi alimenter un sentiment de privation relative chez d’autres ménages, par exemple dans le même village. Ceux-ci vont donc décider, à leur tour, d’envoyer un ou plusieurs de leurs membres à l’étranger.
Des économistes ont aussi mis en avant l’importance du réseau : la présence d’un réseau de migrants dans une localité d’accueil donnée encourage de nouveaux départs parce que les migrants qui sont déjà sur place vont transmettre aux futurs nouveaux arrivants des informations qui facilitent la recherche et l’obtention d’un emploi ou d’un logement, et qui vont réduire les coûts psychologiques associés à la migration. Cela permet de comprendre que la migration peut se poursuivre, voire s’accélérer alors même que les écarts de revenu entre zones de départ et zones d’arrivée se réduisent. Il me paraît utile de rappeler que l’intérêt de la recherche est d’éclairer le débat public et de ne pas laisser les opinions et les intérêts circonstanciels déterminer seuls les décisions politiques.
Pour aller plus loin :
► Pourquoi migrer ? Le regard de la théorie économique, Flore Gubert, économiste à l’École d’économie de Paris, à l’Institut de recherche pour le développement (IRD-DIAL) et à l’université Paris Dauphine,
► Initiative sur les migrations ouest-africaines,
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