La Birmanie grimpe au premier rang mondial de la production d’opium
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Avec plus de 1000 tonnes d'opiacés écoulées depuis le début le mois de janvier, soit un bond de 20% par rapport à l’an dernier, les Birmans sont devenus les premiers producteurs d'opium au monde, devant l'Afghanistan.

Le plus inquiétant, c'est que la fabrique de l'opium en Birmanie devient très sophistiquée. Dans le temps, on parlait de toutes petites parcelles familiales, les paysans plantaient un petit carré devant leur maison et leur foyer vivaient sur la bête pendant toute l'année. Aujourd'hui, si les chiffres explosent, c'est que le secteur s'organise : les champs de pavot sont pensés pour une productivité maximale, on voit apparaître des systèmes d'irrigation perfectionnés et, fait nouveau, certains cultivateurs utiliseraient même de l'engrais pour booster leurs plantations.
Ce n'est pas tant la surface cultivée qui augmente, c’est le rendement qui monte encore et encore. En 2023, un hectare de pavot birman permet de produire 20 kilos d'opium, contre 14 kilos il y a seulement deux ans. Et qui dit plus d'opium dit de plus en plus… d'héroïne. La poudre blanche se place de loin comme le dérivé le plus profitable et d'après le dernier rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, les Birmans en ont exporté jusqu'à 150 tonnes cette année, pour une valeur colossale estimée à 2 milliards de dollars, en hausse constante depuis 2021.
Ce n’est évidemment pas une coïncidence si les compteurs s’affolent depuis deux ans
Cette période recouvre les longs mois de chaos qui ont suivi le coup d’État militaire du 1ᵉʳ février 2021 et le retour au pouvoir de la junte birmane. Or l’équation est prouvée depuis longtemps, troubles sociaux et politiques égale explosion du narcotrafic. L’économie du Myanmar, percutée par le conflit plus que jamais en cours entre l’armée et les groupes ethniques, a subi une série de chocs profonds, inflation, pénuries alimentaires, restrictions d'importations.
En pleine guerre, les revenus de subsistance s'effondrent, et quand ces familles de cultivateurs pauvres, qui vivent dans des zones rurales et isolées, veulent retrouver un semblant de sécurité économique, elles se tournent vers une valeur sûre, le pavot, qu’elles sont sûres de vendre. Le parallèle afghan saute aux yeux : après vingt ans d’instabilité liée aux suites du 11 septembre 2001 et pour cause de sécheresse majeure, il y avait de l’opium partout en Afghanistan jusqu’à la reprise de Kaboul par les talibans. Et si la production afghane s’est écroulée de 95%, selon l’ONU, c’est parce que les mollahs ont décidé l’an dernier d’interdire la culture du pavot pour des raisons religieuses, comme ils l’avaient fait à la fin des années 1990, propulsant la Birmanie et le Triangle d’Or à la première place mondiale.
Plus qu’une nouveauté, c’est un vrai retour en arrière, car cet espace situé au carrefour de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande alimente toute la planète en drogue dure depuis des décennies. Le géographe Pierre-Arnaud Chouvy, chargé de recherche au CNRS, relatait en 2016 dans un article passionnant la genèse de cette culture illicite et comment la Grande-Bretagne, pour asseoir sa domination coloniale, a pris le monopole du commerce d'opium au 18ᵉ siècle, faisant de cette substance, présentée à l’époque comme « récréative », un instrument de sa puissance commerciale, au mépris des ravages qu’elle continue de causer, 200 ans plus tard, sur la santé des consommateurs.
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