Au Sahel et en Afrique de l’Ouest, ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain
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Après avoir participé au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité au début de la semaine, mais aussi deux semaines avant aux Concertations sahéliennes à Niamey- une initiative du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE-, sur l’avenir du Sahel, Gilles Yabi fait le point sur les différents constats et propositions.

Peut-on se projeter dans un horizon de 5, 10 ou 20 ans au Sahel alors que la situation actuelle est très inquiétante?
Difficile en effet. Les différentes interventions que l’on a pu entendre lors du forum de Dakar n’ont fait que confirmer ce que chacun savait déjà : l’Afrique de l’Ouest traverse une période tumultueuse. Je dis l’Afrique de l’Ouest à dessein parce que le fait de détacher dans les analyses la situation dans un Sahel aux contours fluctuants de son ancrage ouest-africain n’a jamais eu beaucoup de sens.
Les présidents Macky Sall du Sénégal, Mohamed Bazoum du Niger, tout comme le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, ont tous insisté la dimension transfrontalière de la violence des groupes armés jihadistes. Lors d’une des sessions du Forum, l’économiste et ancien Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou, a parlé d’économie de guerre pour exprimer la nécessité pour les États de la région de s’adapter à la gravité de la menace en mobilisant des ressources exceptionnelles.
Dans le même registre, le président sénégalais a rappelé que les restrictions budgétaires des années d’ajustement structurel avaient eu un impact négatif sur l’équipement des forces de défense et de sécurité et que « face à la montée du péril terroriste, il faut plus de flexibilité budgétaire pour permettre aux pays de se donner les moyens d’assurer un minimum de défense nationale, avec des armées bien entrainées et bien équipées ».
Mais malgré le sentiment d’urgence, vous pensez qu’il est important d'imaginer l’avenir et d’identifier les tendances quasiment inéluctables qui vont façonner cet avenir dans le Sahel…
Absolument. Si nous en sommes là, c’est en grande partie parce que les gouvernants au cours des dernières décennies ont largement abandonné le champ de la réflexion à moyen et long terme, celui de la prospective, de la recherche, celui de la culture et de la promotion de l’intérêt pour les savoirs.
Les Concertations sahéliennes organisées à Niamey, sous le parrainage du président honoraire du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, Dr Assane Mayaki, ont permis d’examiner les dynamiques de la région en partant des faits.
Un travail préalable a consisté à élaborer un livret intitulé « Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain », document très visuel avec des graphiques sur la démographie, l’urbanisation, l’accès à la téléphonie mobile, à internet, l’accès à l’électricité, les manifestations des changements climatiques, l’économie alimentaire, entre autres. Il faut savoir par exemple que l’urbanisation résultera davantage de la croissance naturelle de la population dans les zones rurales que de l'exode traditionnel vers les grandes villes.
Face à cela, les données sur la capacité d’action des États sont étourdissantes et même effrayantes, dites-vous.
Tout à fait. Dans les pays sahéliens enclavés, les recettes des administrations publiques s’élèvent aujourd’hui à entre 200 et 450 USD par an et par habitant (contre environ 4 000 USD en Algérie et 25 000 USD en France). Le nombre d’agents de la fonction publique est également très faible (par exemple 6 agents de l’État pour 1 000 habitants au Mali, contre 70 aux États-Unis ou 90 en France.)
Cela signifie que les gouvernements sahéliens sont dotés aujourd’hui de moyens insignifiants pour concevoir, financer et mettre en œuvre les politiques publiques… Le défi à relever consiste à sortir de la crise sécuritaire actuelle tout en générant des innovations qui seront vitales pour s’adapter à une recomposition rapide du peuplement et des territoires dans notre partie du monde. Ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain, c’est que nous devrons nous accrocher et être très attentif à l’utilisation de notre temps et de nos ressources.
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