Ça fait débat avec Wathi

Logiques de rente, gourmandise et envies d’aller voir ailleurs

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Le drame des migrants ouest-africains qui sont morts en mer a particulièrement concerné le Sénégal. Lors du conseil des ministres de cette semaine, le président Macky Sall a demandé à son gouvernement de « de faire prendre des mesures sécuritaires, économiques, financières et sociales d’urgence, afin de neutraliser les départs d’émigrants à partir du territoire national ».

Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi
Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga
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La série de naufrages en mer ces derniers mois, parfois tout près des côtes sénégalaises, ne pouvait pas se poursuivre sans une nouvelle prise de parole politique au plus haut niveau. Pendant les six premiers mois de cette année 2023, au moins 2 300 migrants avaient notamment quitté le Sénégal en direction des îles Canaries, deux fois plus que pour la même période de l’année dernière. Il ne s’agit là que des migrants qui visent l’Europe par la mer. Il faut désormais ajouter la nouvelle route migratoire vers l’Amérique du Nord. 

Le Nicaragua, petit pays d’Amérique centrale jusque-là peu connu en Afrique de l’Ouest, est devenu la destination à la mode des candidats à la migration, qui y vont par centaines, sans avoir besoin de visa, avant de commencer un long et incertain trajet vers les États-Unis. Le trajet par des sentiers en forêt et en montagne est dangereux mais un peu moins que celui qui implique d’embarquer dans des pirogues pour l’Europe. 

On retrouve dans l’explication de ces flux soudains les théories économiques évoquées la semaine dernière, l’effet du réseau et l’effet de la pression familiale lorsque les nouvelles données par les migrants qui se sont établis dans le pays de destination finale constituent une incitation au départ de nombreux autres. 

Mais cette tentation du départ par tous les moyens d’un nombre important de jeunes doit interpeller sur la réalité des conditions des jeunes et de leur foi dans les perspectives de leur pays.

Oui, surtout qu’il s’agit d’un pays qui ne connaît pas de conflit armé, ni de crise sécuritaire grave. Mais les conditions de vie sont difficiles pour beaucoup de jeunes qui n’ont pas d’emplois stables, donc pas de revenus stables, dans un contexte de cherté de la vie. Les problèmes de qualité de la formation des jeunes sont réels, mais le fait est que l’économie n’est pas suffisamment diversifiée, que la productivité progresse trop lentement et que le rythme de création de richesses est en décalage avec celui de l’accroissement de la population et des besoins. 

Pour qu’il y ait des emplois et des revenus stables et donc des perspectives pour les jeunes, il faut qu’il y ait beaucoup plus de créations d’entreprises formelles et que ces entreprises puissent grandir pour pouvoir créer de plus en plus d’emplois directs et indirects. 

Vous faites aussi un lien avec l’exploitation abusive des ressources naturelles et la logique de la rente, comme le montre un documentaire sur le Sénégal qui met en lumière la surexploitation des forêts, l'extraction incontrôlée de l'or et ses dégâts environnementaux et sociaux ainsi que la surpêche, qui pousse notamment beaucoup de pêcheurs artisanaux à se reconvertir dans le transport des migrants par la mer ou à migrer eux-mêmes.

Tout à fait. N’oublions pas que la base de toute création de valeur, ce sont les ressources naturelles que le travail des hommes et des femmes transforme. Ce documentaire s’appelle Aakimo qui signifie « s’approprier » en wolof, et qui évoque celui qui veut s’accaparer tous les bons morceaux dans le bol de repas partagé par toute la famille. 

En mai dernier, j’avais eu le plaisir de modérer le débat qui avait suivi la projection de la première de ce documentaire réalisé par le photographe et naturaliste Nicolas Van Ingen, à l’initiative de la fondation Konrad Adenauer et de l’association Océanium. 

Qu’il s’agisse de la surpêche et de la pêche illégale par des bateaux peu contrôlés, de la destruction d’hectares de forêt en Casamance par la coupe de bois précieux exporté ensuite illégalement ou encore de l’exploitation de l’or dans la région de Kédougou, qui pollue irrémédiablement les sols et la Falémé, le principal affluent du fleuve Sénégal, le lien avec les perspectives des jeunes est explicite. 

L’urgence au Sénégal comme ailleurs dans notre région est de passer de la logique de la recherche de rentes, de la gourmandise, de l’accaparement de tout ce qui peut l’être à celle de la création de valeur par une transformation des ressources naturelles compatibles avec la préservation des écosystèmes. Cela peut et cela doit se faire avec les jeunes.

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