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Sylvain N’Guessan: «Laurent Gbagbo veut rester le leader de l’opposition»

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Après neuf ans de mutisme, Laurent Gbagbo est sorti de son silence. Jeudi 29 octobre, sur TV5 Monde, l’ancien président de la Côte d’Ivoire a vivement conseillé à son successeur Alassane Ouattara de négocier pour éviter au pays la catastrophe. Quel est aujourd’hui la vraie ambition politique de Laurent Gbagbo qui vit toujours en exil ? Sylvain N'Guessan est analyste politique et directeur de l’institut de stratégie d’Abidjan, il répond à l’un de nos envoyés spéciaux, Christophe Boisbouvier.

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(illustration) Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale à La Haye, le 15 janvier 2019.
(illustration) Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale à La Haye, le 15 janvier 2019. AFP
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RFI : « Dans le combat autour du troisième mandat, je suis résolument du côté de l’opposition », dit Laurent Gbagbo. Est-ce que cela vous surprend ?

Sylvain Nguessan : À vrai dire, cela ne me surprend pas, dans la mesure où on sait que monsieur Laurent Gbagbo est toujours resté du côté du FPI. Il a été quand même candidat, donc sa position n’a pas varié et je pense que cette mise au point est quand même la bienvenue dans son camp, parce que depuis un certain temps, des rumeurs ont circulé, disant qu’il pourrait y avoir eu des échanges en vue d’une non-participation de monsieur Laurent Gbagbo au jeu politique pour éventuellement retourner en Côte d’Ivoire après la présidentielle. Je pense que monsieur Laurent Gbagbo essaie de rassurer son camp, pour dire qu’il est toujours avec eux, qu’il demeure le capitaine et donc il joue toujours son rôle de leader du FPI et de l’opposition.

Et cette prise de parole très rare de Laurent Gbagbo, est-ce que c’est une décision individuelle de sa part ou est-ce que c’est le fruit d’une réflexion collective avec ses fidèles du FPI, voire peut-être avec ses alliés du PDCI ?

Je pense que c’est un peu de tout. D’abord, lui, qui voudrait rester le leader de l’opposition et qui prend la parole pour dire : « Nous sommes nombreux dans la coalition, dans l’opposition, mais je reste toujours le leader », et aussi au niveau de la coalition, certains ont voulu l’entendre. Si on entend monsieur Affi Nguessan, on n’entend plus monsieur Bédié. Madame Simone Gbagbo s’est tue. Peut-être qu’on avait besoin d’entendre monsieur Gbagbo lui-même, pour être situé sur sa position vis-à-vis de ce qui se fait à Abidjan.

Est-ce que cette prise de position anti-troisième mandat peut renforcer la mobilisation des opposants contre le scrutin du 31 octobre ?

Non, je ne pense pas que c’était l’objectif. Je pense que l’objectif, c’était plutôt de dire : « Je suis de cœur avec vous ». Il faut toujours poursuivre les négociations, même si monsieur Ouattara est élu le 31. Je crois que c’est plus pour les mobiliser, les conforter dans la position d’opposants, pour dire que, même si monsieur Ouattara était élu, ce ne serait pas la fin. Il faut poursuivre les négociations pour sauver la Côte d’Ivoire.

Quand Laurent Gbagbo prédit la catastrophe, si rien ne change, est-ce qu’il fait, à votre avis, une analyse lucide ou est-ce qu’il surjoue le risque de guerre civile ?

L’un et l’autre. Je pense qu’il a mesuré quand même le risque de ce que nous avons vécu en octobre 2000, face au choix fait par le général Guéï, d’exclure certains leaders, avec tout ce que cela a suscité. Je pense qu’il en a tiré des leçons et qu’il s’est dit que, si on avait négocié en 1999-2000, si messieurs Bédié et Ouattara avaient participé à la présidentielle d’octobre 2000, peut-être que l’on aurait évité ces dix longues années de crise. Je pense qu’il essaie de suggérer quelques voies de sortie à monsieur Alassane Ouattara pour dire : « Il faut qu’on négocie, parce qu’il y a un peu trop de mécontents, il y a un peu trop de personnes opposées à votre mandat. Si on ne négocie pas, cela pourrait susciter de nouvelles crises ».

Vous parlez d’octobre 2000. Face au blocage actuel, Laurent Gbagbo n’appelle pas ses partisans à descendre dans la rue, comme il l'avait fait en octobre 2000. Il appelle à la négociation. Comment vous interprétez ce message ?

Je pense que le contexte a assez évolué, que le souvenir de 2010-2011 est encore vivace dans les esprits, donc prendre des risques dans la rue, je ne pense pas que cela soit partagé par beaucoup d'Ivoiriens. Aujourd'hui, la rue ne peut pas mobiliser, à mon humble avis, comme elle l’a fait dans les années 2000-2011. Je ne pense pas. Donc la négociation va être menée dans un tel contexte pour trouver une solution idoine à la Côte d’Ivoire.

Le révolutionnaire Gbagbo s’estil assagi ?

Il a pris de l’âge quand même. Et toute la classe du FPI gagnerait à renouveler son personnel politique. Assoa Adou, Simone Gbagbo,... Ils ont pris de l’âge quand même.

Et en disant: « la négociation ou le chaos », est-ce que Laurent Gbagbo se pose en chef de l’opposition ou en vieux sage au-dessus de la mêlée ?

Oh, c’est le vieux sage qui veut toujours rester le leader de l’opposition. Parce qu’in fine, 2025 est en train de se jouer, que ce soit dans l’opposition comme au sein du RHDP. Donc je pense que monsieur Laurent Gbagbo est conscient que la Constitution sera modifiée. La limite d’âge va revenir et donc il n’aura plus d’avenir politique en tant que président de la Côte d’Ivoire. Donc, l’un dans l’autre, c'est le vieux sage qui voudrait demeurer le pivot de l’opposition et qui distribue les balles.

Le « faiseur de rois » pour 2025 ?

Naturellement. Quand on voit ceux qui se positionnent présentement, c’est une façon de dire : « C’est moi qui distribue les balles ».

Quand Laurent Gbagbo dit : « Tant que je serai à l’étranger, je me considérerai encore un peu comme un prisonnier, mais je ne veux pas rentrer tout de suite pour ne pas provoquer de palabres » - donc de tensions -, est-ce que c’est une façon de mettre le gouvernement Ouattara sous pression ?

Je pense que c’est effectivement une manière de mettre la pression, dans la mesure où, depuis fin juin, monsieur Laurent Gbagbo a engagé les démarches pour avoir son passeport. Jusque-là, malheureusement, il ne l’a pas encore obtenu. Vous savez aussi que l’article 22 de notre Constitution demande qu’aucun Ivoirien ne soit contraint à l’exil. Je crois qu’en parlant, il pense aussi bien à lui, à Charles Blé Goudé et aussi à Soro Guillaume.

Est-ce une façon de dire à Alassane Ouattara : « Si vous me laissez rentrer en Côte d’Ivoire, je pourrai vous aider à calmer le jeu » ?

C’est possible. Parce que tous ceux qui parlent de réconciliation, quand vous leur demandez : « Pourquoi vous estimez que les Ivoiriens ne sont pas réconciliés ? », ils vous diront tout de suite : « Gbagbo est à Bruxelles, Blé Goudé est à La Haye, Soro Guillaume est en France… », en les laissant entrer, cela pourrait calmer quand même le climat politique et cela pourrait susciter une meilleure relation entre les acteurs politiques ivoiriens.

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