Paul-Simon Handy: Thabo Mbeki redoute «l’embrasement de la situation en Côte d’Ivoire»
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En Côte d’Ivoire, le pouvoir et l’opposition ne se battent pas seulement sur la scène nationale. Ils se disputent aussi à l’échelle du continent. Ainsi l’opposition vient de recevoir le soutien du Sud-Africain Thabo Mbeki. Avec quelle chance de succès ? Paul-Simon Handy est conseiller régional à l’Institut d’études de sécurité de Pretoria. En ligne de Dakar, il répond aux questions de RFI.


RFI : Depuis quelques jours, Thabo Mbeki fait des démarches auprès de l’Union africaine et de l’ONU, pour dénoncer l’éventuelle élection d’Alassane Ouattara à un troisième mandat qu’il juge anticonstitutionnel. Pourquoi ce lobbying politique de la part de l’ancien président sud-africain ?
Paul-Simon Handy : Il y a déjà des raisons véritables, une crainte de l’embrasement de la situation en Côte d’Ivoire. La lettre de l’ex-président Mbeki au président actuel de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, relève de nombreux points soulevés par l’opposition, particulièrement l’opposition radicale qui refuse de participer au processus électoral. Ce sont des points notamment bien connus, qui ont trait à la légitimité de la candidature du président Ouattara. C’est le premier point. Mais je pense que le deuxième, naturellement, est que le président Mbeki, certainement, n’a pas oublié la main plutôt malheureuse qui avait été celle de l’Afrique du Sud, dans la gestion de la crise électorale d’il y a déjà dix ans. Il se fait certainement un certain plaisir à rappeler au président Ouattara tous les points qui avaient été rappelés, à l’époque, au président Gbagbo.
Derrière Thabo Mbeki, est-ce qu’il y a un courant de l’ANC, ou l’ANC dans son entièreté, qui soutiendrait Laurent Gbagbo contre Alassane Ouattara ?
Il y a certainement un courant de l’ANC, l’ANC qui est devenu aujourd’hui un peu difficile à cerner sur les questions de politique étrangère, l’ANC qui semble être aujourd’hui plus dans un courant que l’on pourrait appeler anti-impérialiste, que porteur d’une vision véritable d’une politique de ce que l’on appelle un leader régional.
Et derrière ce positionnement de l’ANC pour Gbagbo et contre Ouattara, y aurait-il aussi un ressentiment anti-Français ?
Derrière des mots d’ordre d’anti-impérialisme, certains pourraient voir, dans le président Ouattara, ce que certains considèrent, au sein de l’ANC, comme un agent de la France. Ce n’est pas à exclure, mais je pense que ce positionnement du président Thabo Mbeki a des raisons historiques et tient certainement à une malveillance qui est certainement née à cette époque [entre 2005 et 2011], entre l’ex-président Mbeki et le président Ouattara.
Suite à ce lobbying de Thabo Mbeki contre Alassane Ouattara, on sait de bonne source que le président ivoirien n’a pas hésité, jeudi dernier, à appeler son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa pour protester. Est-ce que l’actuel chef de l’État sud-africain peut désormais demander à Thabo Mbeki, l’un de ses prédécesseurs, de modérer ses attaques anti-Ouattara ?
C’est sûr que le lobbyisme du président Mbeki est un irritant pour la présidence sud-africaine, c’est certain. Mais il serait difficile au président Ramaphosa de suggérer à l’ex-président Mbeki de modérer ses actions, parce qu’il le fait en tant que personne privée. La lettre écrite au président Moussa Faki est une lettre avec en-tête de la Fondation Thabo Mbeki. Donc si c’est un irritant pour le président Cyril Ramaphosa, légalement, il a très peu de moyens de demander à l’ex-président Mbeki de tempérer son enthousiasme.
Beaucoup disent que c’est l’ancien président Henri Konan Bédié qui a sollicité les services de Thabo Mbeki et que c’est le même Bédié qui a approché un autre ancien chef d’État d’Afrique australe, le Mozambicain Joaquim Chissano, pour que celui-ci mène une facilitation en Côte d’Ivoire. Pourquoi l’opposition ivoirienne se tourne-t-elle plus facilement vers l’Afrique australe, que vers sa propre sous-région, l’Afrique de l’Ouest ?
Il est vrai que l’opposition ivoirienne aurait attendu un positionnement plus clair de la part de la Cédéao. Mais il est très difficile à la Cédéao, déjà à sa commission, qui est dirigée par un Ivoirien -c’est peut-être le cas de le rappeler-, et à la Conférence des chefs d’État de la Cédéao, de prendre une position contre un chef d’État comme le président Ouattara, représentant d’un grand pays de la communauté. Donc il est très difficile à la Cédéao de prendre un parti anti-Ouattara dans cette dispute électorale ivoirienne.
Pour faire avancer la cause favorable à l’opposition ivoirienne, le Sud-africain Thabo Mbeki a écrit personnellement au secrétaire général de l’ONU António Guterres, au président de la commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat… Quelles sont ses chances de succès ?
Disons que l’activisme du président Mbeki est, même si on peut être d’accord sur la substance et sur le fond de ce que le président Mbeki relève, l’activisme reste quand même un peu curieux, quant à son caractère sélectif. Pourquoi la Côte d’Ivoire, pourquoi pas la Guinée, pourquoi pas la Tanzanie, d’ailleurs, qui sort d’une élection très contestée par l’opposition, aussi ? Quant aux chances de succès, l’ancien président Mbeki aura certainement, par son activisme, contribué à tirer la sonnette d’alarme sur une situation en Côte d’Ivoire, qui peut avoir des répercussions sur toute la sous-région.
Et quand Moussa Faki Mahamat répond à Thabo Mbeki que c’est d’abord à la Cédéao, et pas à l’Union africaine, de s’occuper du dossier ivoirien, vous êtes surpris ou pas ?
Il respecte le principe de subsidiarité, qui veut que ce soit d’abord à la Cédéao de s’occuper d’une situation locale. Donc cela ne me surprend pas beaucoup, parce que je pense qu’il n’avait pas d’autre alternative.
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