En Afrique du Sud, les limites de la politique du «Black Economic Empowerment» [1/3]
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L’Afrique du Sud est depuis des années tristement en tête des pays les plus inégalitaires au monde, selon les classements réguliers de la Banque mondiale (avec un coefficient Gini, qui mesure ces inégalités, bien au-dessus de celui des autres pays). Dans ce premier volet de notre série consacré à ces inégalités, plongée dans le monde des affaires. Les postes de direction sont encore occupés à près de 65 % par des personnes blanches, et moins de 30 % des capitaux des sociétés sont détenus par les populations noires, métisses ou indiennes. Pourtant, en 1994, lors de la transition démocratique, des politiques de discrimination positives ont été mises en place, pour redresser les torts du passé. Mais elles ont montré leurs limites.

De notre correspondante à Johannesburg,
Yvonne Maitin est à la tête de son propre fonds d’investissement privé, après une carrière de près de 20 ans dans le monde de la finance. Elle siège également au sein de plusieurs conseils d’administration d’entreprises. Et tout au long de son parcours, elle s’est rendue compte de nombreuses inégalités : « On peut voir que les Africains, et les femmes Africaines, sont vraiment très désavantagés. Ça va de l’accès aux financements, l’accès aux marchés, et de façon générale ce sont des difficultés pour faire prendre de l’envergure à son entreprise. »
Le pays a pourtant des lois de discriminations positive, appelées « BEE », pour « Black Economic Empowerment », soit le développement économique des Noirs. Si une entreprise remplit des obligations dans différents domaines, elle aura des accès facilités aux appels d’offre. Mais ces lois ont rapidement été contournées. « Certaines femmes noires sont utilisées comme une façade, pour pouvoir accéder à des financements, mais ensuite elles n’ont presque pas de rôle. Moi-même j’ai reçu beaucoup d’offres, et je me rendais compte que j’avais affaire à cela, donc je les ai refusées. »
Philippe Bakahoukoutela est le directeur actuel du Black Management Forum (BMF), une institution qui avait encouragé la mise en place de ces politiques de « BEE » en 1994. Et il en reconnaît les limites. « Il faut tout d’abord souligner que ces réformes étaient très importantes. Cela a permis tout de même à introduire une classe moyenne. Mais malheureusement, ces avancées n’ont pas vraiment donné les résultats attendus. Il est vraiment important qu'au niveau du gouvernement, au niveau de la classe des affaires, des entreprises de la place, que chacun veille à l’application effective. »
Les « Black Diamonds », une minorité
Si ces politiques ont permis notamment l’émergence de ceux que l’on surnomme les « Black Diamonds », des citoyens noirs aisés, ils restent une minorité, selon Imraan Valodia, directeur du centre de recherches sur les inégalités (SCIS) de l’université du Witwatersrand :
Les bénéfices n’ont profité qu’à un petit groupe, donc je pense qu’il nous faut des politiques économiques qui vont étendre les bénéfices de la croissance de façon disproportionnée envers ceux qui n’ont pas de gros salaires. Et des formes alternatives d’actionnariat pourraient être développées, avec par exemple davantage d'actionnariat salarié dans les entreprises. Il faut de meilleures politiques pour redistribuer le capital.
Une nouvelle loi devrait bientôt être signée par le président pour permettre au gouvernement de renforcer ces politiques dans des secteurs ciblés.
Ce reportage est soutenu par une bourse de l’International Women’s Media Foundation.
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