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La réforme des Nations unies, un bouleversement pour les économies

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« Coupes budgétaires, réduction des effectifs et relocalisations sont au menu de l’initiative de réforme ONU 80 lancée par le secrétaire général, Antonio Guterres, le 11 mars dernier », explique laconiquement le site internet des Nations unies (ONU). Lancée il y a trois mois, les impacts économiques de la réforme ONU 80 se font déjà sentir.

Le bâtiment du siège des Nations Unies vu depuis l'intérieur de la salle de l'Assemblée générale, le 21 septembre 2021, à New York. (Image d'illustration)
Le bâtiment du siège des Nations Unies vu depuis l'intérieur de la salle de l'Assemblée générale, le 21 septembre 2021, à New York. (Image d'illustration) AP - Eduardo Munoz
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Confrontées à une crise majeure, les Nations unies doivent faire face à la multiplication des conflits sur le terrain. Cependant, l'ONU a opéré une réduction drastique de son plan d'aide humanitaire mondial pour l'année 2025, en raison des « coupes budgétaires les plus importantes jamais opérées » ; il passe de 44 milliards de dollars demandés à 29 milliards de dollars. La réforme ONU 80, elle, prévoit des coupes dans les équipes d'au moins 20%.

Dans un courrier envoyé aux personnels des Nations unies, Rosemary Di Carlo et Jean-Pierre Lacroix, diplomates au sein de l'organisation préviennent : « Il ne s'agit pas d'une situation temporaire : c'est structurel ». « Cela va être indubitablement un moment difficile pour chacun de nous », reconnaissent-ils.

Cette humanitaire a accepté de témoigner, mais a préféré rester anonyme, dans l'espoir de retrouver un emploi aux Nations unies. Elle travaille dans une mission de l'ONU et a été prévenue, le 1ᵉʳ juin, que son contrat serait résilié dès la fin du mois. « Je pense que personne ne s'attendait à ce que les choses prennent une tournure aussi radicale. Des milliers de personnes ont été licenciées. Il y a peut-être 80 expatriés, mais il y a aussi des centaines de salariés locaux, explique-t-elle. Les gens sont, à juste titre, extrêmement contrariés et frustrés, car l'effet sur la vie des gens au niveau local est très profond. À l'heure actuelle, c'est sans doute endémique aux Nations unies. Il y a un manque de communication directe, ce qui rend certains processus inutilement opaques. »

Des coupes drastiques et rapides

La réduction substantielle des aides américaines, une crise de liquidités au sein du système onusien et un besoin de réforme général justifient ces coupes drastiques. Thomas Byrns est à la tête de MarketImpact, un cabinet de conseil humanitaire. Il suit la refonte en cours et tente de compiler l'ensemble des données dispersées. « Il ne fait aucun doute que le système humanitaire doit être réformé, mais ce à quoi nous assistons est très brutal », analyse-t-il.

« Au sein des Nations unies, le Programme alimentaire mondial, la plus grande agence humanitaire, a dû supprimer 25 à 30% de ses effectifs mondiaux. L'Organisation mondiale de la santé a dû réduire de 25% ses programmes d'urgence. Il n'y a pas de temps pour la négociation, car dans de nombreux cas, les activités ont été immédiatement gelées. C'est pourquoi l'impact est si dévastateur », poursuit Thomas Byrnes.

Des impacts sur les économies locales

Pour le spécialiste, la géographie des conflits, des besoins et des missions indiquent que le continent africain est sans doute le plus touché par cette réforme de l'ONU. Les conséquences sont directes sur les emplois et activités humanitaires, mais cela touche également l'ensemble des sous-traitants locaux, ainsi que l'économie des localités dans lesquelles ces travailleurs étaient basés. C'est ce dont fait part Jacques Mukena, spécialiste gouvernance et économie à l'Institut congolais Ebuteli. « Leur départ va forcément avoir un impact. Il n'y aura plus autant de demande sur les logements très chers, il n'y aura plus forcément de demande sur des produits qu'ils ont introduits. La liste est très longue », recense-t-il.

Et de prendre un exemple : « Je peux prendre l'exemple des Nations unies, qui roulent généralement en 4x4. Quand ils arrivent dans un endroit comme Kalemie, où il n'y a pas forcément de garage ou des boutiques de pièces détachées pour les 4x4, il n'y aura plus une forte demande comme avant. » Autre exemple : celui des sociétés de gardiennage et des compagnies de sécurité, très sollicitées par les personnels des Nations unies. « Il n'y aura peut-être plus une forte demande de tous ces services-là. Il y a beaucoup de choses qui vont changer localement », insiste l'expert.

Selon des modélisations internes révélées par The Economist, le système onusien pourrait se retrouver à court de liquidité dès le mois de septembre 2025.

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Pour nous, le UN80, donc le processus de restructuration, ce n'est pas stratégique. La crise que traverse l'ONU a été causée par des arriérés de paiements. En même temps, il y a un certain manque de pertinence. Et on le voit par exemple dans beaucoup de pays, en Afrique par exemple, qui cherchent à voir comment l'ONU peut mieux les soutenir. Donc, le UN80 devrait commencer par une réflexion stratégique pour voir, d'une part, comment est-ce qu'on peut être plus pertinent, comment est ce qu'on peut soutenir mieux les pays comme les pays d'Afrique ? Mais aussi, comment est ce qu'on peut résoudre cette crise de paiement ? Mais le UN80 ne fait ni l'un ni l'autre. Il commence par des coupes directes de 20% partout à l'ONU, surtout sur le terrain, ce qui va avoir des effets sur le soutien et l'accompagnement qu'on peut rendre à nos pays. Et en même temps, il crée des énormes coûts en termes de délocalisations, en termes de restructuration, sans avoir pensé à quelle est la raison pour tout ça.

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Ian Richards, président du Syndicat du personnel de l'ONU à Genève

Charlotte Cosset

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