Emmanuel Faber, patron déchu de Danone, attaqué par les fonds activistes
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Emmanuel Faber, 57 ans, est l'ex-patron de Danone, fleuron français de l’agro-alimentaire avec 100 000 employés dans le monde. Il était depuis des mois dans le viseur des actionnaires. Lors d'un conseil d'administration dimanche 14 mars, ils ont acté son éviction immédiate de la présidence de ce groupe qu'il a dirigé pendant sept ans. Sous leur pression, Emmanuel Faber avait déjà dû renoncer, début mars, à ses fonctions de directeur général.

Entré chez Danone il y a 24 ans, ce patron atypique du CAC 40, diplômé d’HEC, a transformé il y a trois ans la multinationale en société à mission, la première en France, avec pour objectif, la santé par l’alimentation, le respect des hommes et de l’environnement, associés à la rentabilité…
Emmanuel Faber s'exprimait sur sa vison en mai dernier sur France Inter. « Je pense que la concentration des richesses est une bombe à retardement. Il est évident que l’économie de marché telle que nous la pratiquons ne pourra pas être durable dans cette crise si elle n’est pas une économie sociale de marché. », assurait-il.
Danone, ce sont 72 marques, dont Danette, Jockey, Taillefine, Lu, et surtout les eaux minérales Evian, Volvic et Badois, qui ont pris l’eau à cause de la fermeture des restaurants et l’arrêt du tourisme dû à la pandémie.
L’entreprise est à l’équilibre, mais son cours en bourse ne progresse que de 11% alors que celui de son concurrent Unilever bondit lui à 50%. Les actionnaires sont mécontents, et cela date de bien avant la crise sanitaire. Deux fonds activistes étrangers dénoncent une mauvaise gestion de la part d’un chef « trop puissant » : le britannique BlueBell Capital et surtout l’américain Artisan Partners qui exigent son départ.
Eric Delannoy, économiste et fondateur du cabinet Tenzing explique : « Je crois que s'ils ont pris cette décision, ce n’était pas pour remettre en cause le projet d’Emmanuel Faber en tant qu’entreprise sociale, mais plutôt car ils avaient la volonté de changer de stratégie. On prétend qu'Emmanuel Faber a une manière de gouverner un peu particulière, on parle d’un homme "autocratique", de "solitude du pouvoir"... On dit que des choix stratégiques ont été faits qui ne vont pas forcément dans le sens de la rentabilité par rapport à ses propres concurrents. Les actionnaires ont jeté une pierre dans la mare sur ces sujets-là. »
Et la rentabilité, c’est l’objectif premier des fonds activistes
Rodolphe Durand est professeur à HEC, et co-auteur d’une étude sur ces fonds : « Les fonds activistes sont des fonds qui ont, comme leur nom l’indique, collectent des fonds auprès d’investisseurs – des gens qui ont de l’argent ou des institutionnels –, leur promettant un très fort retour sur investissement. Quand un fonds activiste rentre au capital d’une entreprise, il modifie le portefeuille d’activité, il change souvent les équipes et il crée de la valeur.
C'est vrai que sur les 18, 24 premiers mois, il y a une augmentation de la valeur de marché de l’entreprise. Mais quand vous continuez sur la troisième, quatrième ou cinquième année et que vous comparez avec une entreprise similaire, dans le même secteur, la même taille, à peu près le même portefeuille, qui n’aurait pas été attaquée, la valeur de l’entreprise attaquée est finalement moins forte que celle qui n’a pas été attaquée. C’est pour cela que certaines fois on les appelle les "court-termistes" et c’est exactement le mandat qu’on a confié aux fonds activistes. »
Face à la fronde des actionnaires, Emmanuel Faber, catholique pratiquant et père de trois enfants, laisse entendre que c’est sa vision RSE, d’entreprise responsable, que les fonds attaquent alors qu’ils avaient voté pour à 99%. L’étude menée par Rodolphe Durand, montre en effet que ces fonds ciblent tout particulièrement les sociétés à mission, mais ce n’est pas systématique.
« Il faut sortir un peu du raccourci, avec d’un côté les gentilles entreprises qui ont une raison d’être et qui font de la RSE, et de l’autre les méchants financiers qui les attaquent parce qu’ils font de la RSE. C’est faux des deux côtés. Les fonds d'investissement attaquent les entreprises qui font de la RSE, sans faire de bénéfices. Ils les accusent d'utiliser la RSE pour se cacher derrière leur petit doigt et de ne pas rapporter de valeur aux actionnaires tel qu'ils devraient le faire et tel que leurs concurrents le font. Lorsque la politique RSE participe de la création de valeur pour l’entreprise, et en retour pour ses actionnaires, ils ne l’attaquent pas », assure Rodolphe Durand.
Emmanuel Faber est désormais remplacé par Gilles Schnepp, l’ex-PDG de Legrand, le fabriquant de matériel électrique. En partant, il a posté sur le réseau professionnel LinkedIn un message de remerciement à ses équipes qui a suscité des dizaines de milliers de soutiens.
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