Aujourd'hui l'économie

Fiascos industriels: la cigarette (presque) sans fumée de RJ Reynolds

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Dans notre série consacrée aux échecs industriels, la Premier, la « cigarette sans fumée » lancée en 1988 par le fabricant américain RJ Reynolds. Quinze ans avant la cigarette électronique, la promesse était de créer une alternative à la cigarette classique. Mais le public n'a pas suivi et près d'un milliard de dollars mis sur la table par le groupe pour lancer le produit sont bel et bien partis en fumée.

Richard A. Kampe, à gauche, président de R.J. Reynolds Tobacco Development Co. et Edward A. Horrigan, président-directeur général de R.J. Reynolds Tobacco Co. présentent la nouvelle cigarette PREMIER.
Richard A. Kampe, à gauche, président de R.J. Reynolds Tobacco Development Co. et Edward A. Horrigan, président-directeur général de R.J. Reynolds Tobacco Co. présentent la nouvelle cigarette PREMIER. AP - Marty Lederhandler
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Dans le journal télévisé, un homme, l'air détendu, fume une cigarette. De sa bouche, au lieu d'une fumée épaisse, un léger nuage. Cet homme, c'est Dick Kampe, le directeur du développement chez RJ Reynolds. Il vient montrer la cigarette Premier, un produit présenté comme révolutionnaire. « Ça réduit considérablement les composants controversés qu'on trouve dans les cigarettes classiques. Il y a très peu de fumée, presque pas de cendres... »

Contrairement à une cigarette conventionnelle, la Premier s'allume en brûlant une pièce de carbone qui entraîne le chauffage du tabac plutôt que sa combustion. Certes, cela fait moins de fumée, mais il y a un problème : le goût. « Ça avait le goût de pneu brûlé, de chou de Bruxelles, voire une odeur de pet... »

Stacey Anderson est docteur en sciences sociales et comportementales à l'université de Californie : « Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Penelope Cohen, du département Marketing de RJ Reynolds, dans des documents internes. En plus de cela, ce n'était pas vraiment sans fumée. Ça ne répondait pas à la problématique de l'acceptation sociale. Enfin, le rituel de la cigarette était bouleversé. Elle ne restait pas allumée, il fallait sans cesse aspirer, beaucoup plus que la normale. Et en fin de compte, les équipes commerciales n'ont pas vraiment préparé le public à ce que le produit était vraiment ».

Un produit contradictoire en 1988

RJ Reynolds, au moment du lancement de Premier, a dépensé près d'un milliard de dollars dans son développement et pour sa commercialisation. A-t-il été trop vite en besogne ? Robert Proctor, historien des sciences à la prestigieuse université de Stanford, connaît les pratiques des industriels du tabac comme sa poche. Il a épluché des milliers et des milliers de documents internes révélés au public en 1998, les « tobacco documents ». Dix ans avant cette date, nous rappelle l'historien, les industriels étaient déjà inquiets.

« À la fin des années 1980, le "complot" des industriels était en difficulté. La communauté de la santé publique insistait sur le caractère mortel des cigarettes. Il y avait aussi la menace des régulateurs. Souvenez-vous, on est à la fin de l'administration Reagan et son administrateur de la santé publique, Charles Everett Koop, était farouchement anti-tabac. Il était convaincu par les arguments scientifiques qui démontraient que le tabagisme passif pouvaient causer des cancers. Donc l'industrie s'inquiétait de plus en plus en se disant que c'était peut-être le début de la fin. »

À l'époque, en 1988, l'industrie ne reconnaissait pas encore à la cigarette le moindre effet sur la santé. Pas question d'abandonner la bonne vieille clope. Et pas question non plus de vendre Premier comme un produit plus sûr pour la santé. Une contradiction que nous éclaire Robert Proctor.

« Quand ils ont inventé Premier, ils étaient pris à leur propre jeu. Ils ne pouvaient pas dire que c'était plus sûr. Ce serait sous-entendre que toutes les autres ne le sont pas. Ils ne pouvaient pas simplement dire que "c'est plus propre" ou "ça supprime certains composés controversés". Ils tournaient autour du pot. Et c'est d'ailleurs une des raisons de son échec commercial. On n'a jamais réussi à convaincre les consommateurs de l'acheter. On ne leur a jamais dit : "Écoutez, les cigarettes classiques vous rendent accro à vie avec de grandes chances de mourir d'un cancer, celles-ci sont plus sûres". Ils ne pouvaient pas le faire. Enfin, ils ne l'ont pas dit en tout cas. »

Finalement, Premier restera sur le marché américain moins d'une année. Quelques années plus tard, le groupe RJ Reynolds lance Eclipse, un produit quasi similaire mais avec un meilleur goût et le soutien de scientifiques rémunérés pour en vanter la moindre toxicité et ainsi entretenir le doute. Piteux échec, la Premier a ouvert la voie à de nombreux produits vendus comme des alternatives à la cigarette. La cigarette électronique, aujourd'hui, en est le dernier avatar.

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