Pourquoi les insurgés péruviens contestent le modèle qui a apporté la prospérité
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Au Pérou, la crise politique aura des conséquences négatives sur la croissance, prévient le Fonds monétaire international. Une prévision qui marque une rupture. Jusqu’à maintenant, l’économie semblait immunisée contre les troubles récurrents qui agitent cette jeune démocratie.

Un avis partagé par de nombreux observateurs : le Pérou est l'un des rares États où l'indice du risque a été dégradé en 2022 par l’assurance française du commerce extérieur (Coface). En s’appuyant sur des éléments concrets : Las Bambas, la plus grande mine de cuivre du pays contrôlée par un groupe chinois – qui fournit 2% du marché mondial et qui procure au passage au Pérou un point de PIB – est actuellement fermée. Les barricades sur les routes et le blocage général des transports affectent aussi l’agriculture. Le plus grand pays exportateur de raisin voit sa récolte pourrir faute de transports pour l’acheminer. Enfin, le tourisme, l’autre pilier de l’économie après les mines, est également à l’arrêt. Le Machu Pichu, la perle touristique du Pérou, est toujours fermé et la saison estivale paraît bien compromise.
Pourquoi l’économie a-t-elle résisté aux précédentes crises politiques ?
Pour caractériser la prodigieuse croissance de l’économie péruvienne depuis une vingtaine d’année, on parle volontiers de l'environnement hyper favorable des affaires, basé sur le « consensus de Lima ». C’est-à-dire d’un modèle ultra-libéral calqué sur le « consensus de Washington » longtemps pratiqué par le FMI. Les investisseurs étrangers, surtout chinois, ont développé les richesses naturelles du pays pour l’exportation.
Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de la dictature de Fujimori ont toujours protégé ces activités pour préserver la manne des investissements, et la corruption endémique qui l’accompagne. La population en a partiellement profité. Le niveau de pauvreté a reculé. Le Pérou est devenu l’îlot de stabilité économique de la région. Avec une croissance robuste de 4% par an, une monnaie stable, des finances saines, il surpasse tous les pays de la région.
La crise du Covid-19 a mis en lumière les performances macro-économiques
Après le coup d'arrêt de 2020, l’économie est très vite repartie avec une croissance à 13% en 2021. Mais les Péruviens soignent encore les plaies de la pandémie. Faute d'amortisseurs sociaux et d’institutions sanitaires efficaces, ils ont souffert de la faim et ont eu du mal à se faire soigner. Le taux de mortalité en rapport avec la pandémie est le plus élevé au monde. Le Covid-19 a mis en évidence des décennies d'incurie, très bien illustrée par le sort de Cuzco.
La capitale du tourisme est aussi l’une des villes les plus pauvres du pays. En ce moment, elle est privée de gaz. Un comble alors qu’un gisement tout proche continue d’exporter vers l’étranger grâce à un gazoduc le reliant à Lima. Le tuyau promis à la ville n’a jamais été construit. L’autoroute destinée à la désenclaver jamais achevée et un des hôpitaux espérés non plus. Cette croissance sans développement a réduit la pauvreté de moitié, mais pas pour tous les Péruviens. Les inégalités socio-économiques entre les Andins et le reste de la population se sont exacerbées. C’est ce qui nourrit aujourd’hui la colère des manifestants.
Remise en cause du modèle péruvien ?
Les insurgés souhaitent une autre Constitution, proposant un nouveau contrat social. La lutte contre la corruption fait aussi partie de leurs attentes. Des revendications qui pourraient rendre l'économie péruvienne plus inclusive et donc plus résiliente. Mais la pression de la rue paraît sans effet. Le Parlement refuse toujours de convoquer de nouvelles élections et la vice-présidente Dina Boluarte s'accroche au pouvoir depuis l'arrestation en décembre du président Castillo. Pendant ce temps, les investisseurs étrangers travaillent sur de nouveaux projets miniers, car ils parient sur la continuité du « consensus de Lima ».
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