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Gratuité numérique du magazine «Time»: un choix à contre-courant

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Le jour-J est arrivé pour le Time. Le magazine américain doit réinstaurer la gratuité sur son site internet ce 1er juin 2023. Cette annonce faite en avril à l'occasion d'un gala annuel du Time, a de quoi surprendre. Le contenu de son site était totalement ou en partie payant depuis 2011.

Une couverture du Time Magazine.
Une couverture du Time Magazine. © time.com/magazine
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La version digitale du magazine papier sera toujours payante, selon le site Axios. Pour le reste, le contenu numérique et 100 ans d'archives du Time seront en accès libre.

Objectif affiché par Jessica Sibley, la patronne du magazine : élargir son audience, la rajeunir, la diversifier, et ce, dans le monde entier. Fort d'1,3 million abonnés dans sa version imprimée, le Time suscite moins d'intérêt sur la toile avec 250 000 souscriptions.

Cette décision va à rebours de la tendance.

« Après avoir eu des approches basées sur la gratuité, la plupart des titres de presse ont été amenés à y renoncer », explique Jean-Marie Charon, sociologue des médias à l'EHESS, l'École des Hautes études en sciences sociales. Et ce dans la mesure où « les audiences générées par les grands opérateurs d'Internet ont de plus en plus conduit à ce qu'ils absorbent les plus fortes ressources publicitaires », ajoute le chercheur, auteur de l'étude Hier, journalistes : ils ont quitté la profession (2021). Les géants de la tech, Google et Facebook en tête, captent plus de 70 % des revenus publicitaires en ligne. En outre, avec la dégradation du contexte économique, le marché publicitaire s'est tendu.  

D'ailleurs, au moment où Time prend le chemin de la gratuité en ligne, des médias reposant sur ce modèle vacillent. Fin avril, le site BuzzFeed News a fermé et licencié 180 salariés. Mi-mai, Vice s'est déclaré en faillite. Au tournant des années 2010, quand Time rendait payant son contenu numérique, tous deux ont incarné une nouvelle génération de médias d'information entièrement en ligne. Mais, « le modèle gratuit qui consiste à générer beaucoup de trafic et à vendre de la publicité sur cette base n'a pas fonctionné aussi bien qu'espéré », analyse auprès de l'AFP, Rick Edmonds, de l'Institut de recherche sur le journalisme Poynter.

Ni BuzzFeedNEws, ni Vice n'ont trouvé le chemin de la rentabilité et tous deux peinaient depuis des années à attirer de nouveaux capitaux. Ils se sont endettés pour rester à flot. Avec la remontée des taux, le durcissement des conditions de crédits, et la plus grande frilosité ou l'impatience des investisseurs, difficile de tenir le cap.

Le havre perdu de vue, la valeur de ces médias s'est effondrée avec le temps. En 2021, BuzzFeed en a fait l'amère expérience lors d'une entrée en Bourse qui a viré au fiasco. Un temps valorisé à 1,5 milliards de dollars, le groupe n'avait pu en lever que 16 millions. Quant à ViceMediaGroup, il a été valorisé jusqu'à 5,7 milliards de dollars en 2017, soit davantage que la capitalisation boursière du New York Times à l'époque. Aujourd'hui, l'un de ses créanciers propose de reprendre Vice pour 225 millions de dollars. 

Est-ce que la gratuité peut avoir un impact sur le contenu du site de Time ?

Difficile à dire, à priori. Cela dépendra de leur stratégie d'ensemble.

D'une manière générale, en sens inverse, quand les médias passent du gratuit au payant, cela les oblige à fournir des contenus différents, note Jean-Marie Charon. Avec la gratuité, il existe une tendance à « se banaliser, parler des sujets dont tout le monde parle » pour attirer le plus de trafic et donc de revenus publicitaires. Avec un modèle payant, il est au contraire important de se « démarquer ».

Dans ce contexte, aux Etats-Unis, les sites d'information gratuits adossés à de grands groupes s'en tirent mieux que les autres. En France, le journal La Tribune pourrait bien entrer dans le giron d'une grande entreprise de plus en plus intéressée par les médias : la CMA-CGM. 

L'armateur marseillais a remis une promesse d'achat de 100% du capital du groupe propriétaire du journal économique. La Tribune, qui a abandonné son édition imprimée quotidienne il y a plus de dix ans, propose une grande majorité de contenus payants. Et selon Le Figaro, l'entreprise est désormais rentable, avec un Ebitda (revenu brut d'exploitation) de 400 000 euros.  Cela dit, elle tire « 50% de ses revenus » d'événements qu'elle organise.

Une diversification des revenus, c'est aussi le pari du Time dans l'audiovisuel, avec Time Studios, ou l'événementiel par exemple. De quoi expérimenter, peut-être plus sereinement, une nouvelle stratégie en ligne. 

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