Geoff Keighley: l’incontournable maître de cérémonie du jeu vidéo
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Dans la nuit de jeudi 7 à vendredi 8 décembre avaient les lieux les Game Awards, souvent présentés comme les Oscars du jeu vidéo. Un événement culturel et marketing qui fête ses dix ans cette année, avec un personnage central aux manettes : le Canadien Geoff Keighley.

« Merci d’accueillir sur la scène le créateur des Game Awards : Geoff Keighley. » Lorsqu’il apparaît sur la scène du Peacock Theater de Los Angeles pour l’édition 2023, celui qui se définit comme « media entrepreneur » a la même allure, la même coupe de cheveux et presque le même costume gris que lors de la première édition, en 2014. À 45 ans, il fait aussi preuve du même enthousiasme factice, avec lui tout est « amazing », « wonderful », « spectacular ». Dans une industrie habituée aux remous et aux controverses, il apparaît comme une rare figure consensuelle.
En 2021, alors que l'industrie est secouée par une série de scandales, que des piliers de grands studios sont accusés de harcèlement sexuel, d'entretenir une culture misogyne et toxique en interne, il évacue le sujet de deux phrases : « Avant de commencer, on ne peut pas ignorer l'actualité. Les créateurs de jeux doivent être soutenus par les entreprises qui les emploient. Ce soir, j’appelle tout le monde à bâtir une industrie du jeu vidéo meilleure, plus sûre et plus inclusive. » Difficile de faire plus lisse. Activision, Ubisoft, Blizzard : aucun des studios mis en cause n'est nommé. Geoff Keighley veut surtout ne se fâcher avec personne et surtout pas avec ceux qui payent cher pour faire la promotion de leurs jeux et des sorties à venir entre les récompenses.
Aucune prise de position politique n’est tolérée
Geoff Keighley, à la fois producteur et maître de cérémonie, a fait des Game Awards un rendez-vous marketing incontournable à quelques semaines de Noël et des fêtes de fin d’année. Et pas question que la politique vienne gripper cette mécanique bien huilée : malgré une lettre ouverte de plusieurs nommés dans la catégorie « Future Class » (qui représente les jeunes espoirs de l’industrie) appelant à une prise de position en faveur des Palestiniens de Gaza, pas un mot sur le sujet n’a été prononcé au cours de la cérémonie. Une développeuse qui devait remettre un trophée a même été désinvitée après avoir exprimé son intention de profiter de la tribune pour dénoncer « le génocide en cours en Palestine ». Pas non plus sur les milliers de développeurs licenciés en 2023 alors que l'industrie traverse une année noire.
Geoff Keighley ne veut pas prendre le risque de contrarier les pontes de l’industrie qu’il côtoie pour certains depuis 30 ans. Lorsque a lieu Cybermania ’94, la toute première cérémonie télévisée qui récompense les jeux vidéo en 1994 sur la chaîne TBS, il porte un smoking et est assis au premier rang. Connaissant sa passion pour les jeux vidéo, ses parents qui travaillent tous les deux pour Hollywood depuis Toronto l’ont introduit auprès de la production. L’adolescent vient aider les auteurs - qui n'y connaissent rien - à écrire les textes des présentateurs - qui n'y connaissent rien non plus - sur les jeux nommés dans les différentes catégories. Geoff Keighley aimait déjà les jeux vidéo, il attrape le virus de la télévision.
Le « pape des Dorito »
Plus tard, il devient journaliste spécialisé dans le jeu vidéo, d’abord dans la presse spécialisée qui connaît son heure de gloire en ligne. Mais très vite, il revient à la télévision : sur Spike TV, une chaîne du câble. Il devient, en 2003, producteur exécutif derrière les Video Game Awards. On y retrouve déjà la formule qui fera le succès plus tard des Game Awards : des concerts, des stars venues du cinéma, des bande-annonces de jeu et un mélange assumé entre contenu éditorial et publicité. Le public visé est jeune, blanc et masculin, les mises en scène souvent sexistes et homophobes. Mais Geoff Keighley parvient déjà à attirer des grands noms : Snoop Dogg, Samuel L. Jackson présenteront tour à tour la cérémonie.
Et c'est à cette époque que Geoff Keighley est surnommé « le pape des Dorito ». Référence à une interview qu'il accorde en 2012 à un site spécialisé. Dans la vidéo, il apparaît entouré de paquets de chips et de bouteilles de soda. Le placement de produit est tellement disproportionné qu’il devient le symbole d’une presse jeu vidéo vendue au plus offrant.
103 millions de spectateurs
Une réputation qui ne lui portera pas préjudice longtemps : quand Spike TV met fin aux Video Game Awards deux ans plus tard, il se lance en solo sur Twitch et YouTube. En 10 ans, il est devenu incontournable dans une industrie qui dans le monde pèse désormais quatre fois plus lourd que celle de la télévision. Plus que jamais, Hollywood vient y chercher des sources d’inspiration, et les stars de cinéma n’ont plus l’impression de se compromettre en acceptant de participer à des projets portés par des studios de jeu. Cette année, Timothée Chalamet est venu annoncer le vainqueur de l’édition 2023 : Baldur’s Gate 3 du studio belge Larian. Geoff Keighley lui s’est rendu incontournable. L'an dernier, 103 millions de personnes dans le monde ont regardé ses Game Awards, c'est six fois plus que les Oscars.
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