Hydrogène bas-carbone: l’Union européenne a pris du retard
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Pour sortir des énergies fossiles, l’Union européenne voit l’hydrogène bas-carbone (issu d’énergies renouvelables et d’électricité nucléaire) comme une partie de la solution, en particulier pour l’industrie lourde. Les Européens se sont fixés des objectifs de production et d’importation très ambitieux, mais qui seront difficiles à tenir, estime une étude publiée mercredi 13 mars.

L'Union européenne ambitionne de produire 10 millions de tonnes d'hydrogène par an dès 2030, et d'en importer autant. Il s’agit d’hydrogène bas-carbone, c'est-à-dire issu d'énergie solaire, d'éoliennes, de barrages, mais aussi - à la demande de la France notamment - d’électricité nucléaire (qui émet peu de CO2 mais n'est pas renouvelable).
Le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), un centre de recherche public français, a interrogé 70 grands industriels européens sur l'hydrogène qu'ils comptent utiliser pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Au mieux, « on arrive à un scénario de 2,5 millions de tonnes d’hydrogène » en 2030, expose Bertrand Charmaison, qui a piloté l’étude rendue publique mercredi. Autrement dit, en suivant cette trajectoire, les objectifs européens sur l'hydrogène ne seront pas atteints.
L’hydrogène bas-carbone, une piste pour l'industrie lourde
Du point de vue de l'Union européenne, l’hydrogène bas-carbone est une partie de la solution pour atteindre ses objectifs de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre avant 2030.
Cet hydrogène issu de l'électrolyse de l’eau doit remplacer notamment de l'hydrogène produit aujourd’hui à partir d’énergies fossiles pour être utilisé dans des raffineries ou des usines d'engrais. Il peut aussi être utilisé en remplacement du gaz, du pétrole et du charbon dans des aciéries par exemple. Pour ces industries lourdes, utiliser directement de l'électricité n'est pas forcément possible, d'où l'idée d'avoir recours à l'hydrogène.
La sidérurgie à elle seule est responsable de 7,6% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde : réduire les émissions de ce secteur est important, d’autant plus à l’heure où l’Europe cherche à se réindustrialiser.
L’aéronautique fait également partie des secteurs qui comptent recourir à l’hydrogène, par exemple en l’utilisant pour fabriquer des e-fuels, des carburants synthétiques, en lieu et place du kérosène des avions. Cependant, l’hydrogène bas-carbone, qui nécessite énormément d'énergie pour sa production, ne permettra pas de répondre à toute la demande du secteur aérien sans une réduction du trafic.
Pourquoi ce retard, malgré les subventions ?
L'Union européenne a mis sur la table plus de 17 milliards d'euros pour développer une filière d'hydrogène bas-carbone dans les pays membres. Plusieurs freins expliquent le retard des investissements, malgré ces subventions.
Parmi eux, le prix de l'électricité, car pour produire de l'hydrogène, il faut énormément d'électricité, donc la facture monte très vite. Or avec la guerre en Ukraine, les prix ont beaucoup augmenté. Ainsi, fabriquer de l'hydrogène bas-carbone en Europe coûte pour l'instant plus cher qu'aux États-Unis par exemple, où la production d’hydrogène bas-carbone est fortement subventionnée dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA).
Ensuite, pour certains industriels comme ceux qui fabriquent des engrais à partir d'ammoniac, les investissements nécessaires sont énormes pour passer à l'hydrogène bas-carbone, car cela implique de « changer complètement l’usine » et en fabriquer une nouvelle, explique Bertrand Charmaison, du CEA. « Ce n’est donc pas une solution que les producteurs d’engrais européens envisagent tout de suite », poursuit-il. Le manque de visibilité sur la réglementation européenne, qui a été fixée en cours d'année dernière, a aussi joué. « Dans ce monde très incertain de 2023 [quant aux contours qui allaient être choisis par l’UE pour encadrer la filière], les industriels ont préféré attendre » avant de décider d’investir et de se convertir à l’hydrogène bas-carbone, précise Bertrand Charmaison.
L’Europe n’est toutefois pas le seul continent dans lequel les projets d’hydrogène vert (issu d’énergies renouvelables) ou bas-carbone (incluant le nucléaire) tardent à se développer. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2023, seuls 4% des projets d’hydrogène bas-carbone annoncés avaient effectivement fait l’objet d’une décision finale d’investissement, étaient en cours de construction ou fonctionnaient déjà.
La Chine en tête sur les électrolyseurs
Plus les investissements tardent, plus il va être difficile de rattraper le retard. Cela vaut aussi pour la fabrication en Europe d'électrolyseurs, les machines qui servent à fabriquer de l'hydrogène. « L’Europe est très en pointe sur les ambitions », salue Mickaele Le Ravalec, directrice économie et veille à l'IFP énergies nouvelles. De ce point de vue-là, l’Union européenne « n’est pas à la traîne derrière les États-Unis, estime-t-elle. Par contre, il faut reconnaître que le marché de la fabrication des électrolyseurs est pleinement occupé par la Chine, et que l’Europe a pris du retard. » Le continent mise sur des électrolyseurs plus chers, mais à plus longue durée de vie, qui sont en cours de développement.
D'après les industriels interrogés par le CEA, l'UE doit accélérer le déploiement des énergies renouvelables et simplifier sa réglementation pour accélérer les investissements dans l'hydrogène bas-carbone.
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