«Avons-nous atteint, voire dépassé les limites planétaires?»
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Comment la croissance pourrait-elle être infinie dans un monde fini ? Il y a 50 ans, le rapport Meadows fait l’effet d’une bombe et devient un bestseller : 30 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Co-rédigé par le physicien américain Dennis Meadows, ce rapport intitulé Les limites à la croissance mesurait l’impact de l’activité humaine sur la planète et mettait en garde contre l’épuisement inéluctable des ressources naturelles si la démographie, l’industrialisation, la croissance continuaient à un rythme effréné. Avec une conclusion glaçante : un crash, un effondrement du système planétaire, se produirait au 21e siècle.

En 1972, le rapport Meadows est commandé par le Club de Rome, un groupe d’industriels et de scientifiques. Ce groupe de réflexion pressent la raréfaction des ressources comme le gaz, le charbon, le pétrole et s’interroge sur les limites de la croissance économique pour notre planète. Il suscite énormément de commentaires, de recherches, de réflexions. Tous les productivistes de gauche et de droite se retrouvent pour le dénoncer. Par contre les personnes qui avaient une approche technique, physique des phénomènes économiques, y perçoivent une vision très juste.
Le rapport Meadows n’a jamais été autant d’actualité
Cinquante ans après la publication de ce rapport censé influencer les politiques, la situation n’a fait qu’empirer. En cause la surconsommation, la surproduction, la surpêche, la pollution, les émissions de gaz à effets de serre ou encore le mépris de l’environnement qui ont conduit au réchauffement climatique. Plusieurs limites planétaires, comme le changement climatique, l'intégrité de la biosphère, l’utilisation de l’eau douce, la modification de l'occupation des sols ou les cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, sont considérées comme aujourd’hui dépassées, de manière irréversible. Les limites planétaires sont des variables qui déterminent les grands équilibres écologiques de notre planète, bousculées aujourd'hui par les activités humaines.
Un certain nombre d'endroits sur terre très exposés paient le prix fort de notre vision à court terme. En Inde, au Bangladesh, en Chine, par exemple. « Il y a également un pacte faustien beaucoup plus large et profond, entre les besoins de consommation industriels occidentaux et la perpétuation de régime totalitaire qui sont fondés sur le contrôle de ressources vitales pour le monde développé », explique Matthieu Auzanneau, directeur du groupe de réflexion sur la transition énergétique The Shift Project, qui publie chez Odile Jacob, Climat, crises, le plan de transformation de l’économie française. Un certain nombre de régimes se maintiennent parce qu'ils possèdent une ressource vitale pour un système qui a besoin d’assouvir les besoins de la croissance économique, au-delà des enjeux moraux et éthiques.
La politique de l’autruche
Pour Dennis Meadows, si les conclusions alarmantes du rapport ont été très vite enterrées, c’est parce que « la grande majorité de l'humanité ne se soucie pas vraiment de ce genre de choses. Sur les plus de sept milliards d'habitants de la planète, la plupart veulent simplement se lever le matin, nourrir leurs enfants, aller au travail, s'occuper de leur maison, passer du temps avec leurs amis. Les problèmes mondiaux ne sont tout simplement pas une préoccupation pour eux ». Pour lui, les hommes politiques avaient également tout intérêt à nier ou à ignorer ces idées. « Les hommes politiques ont besoin de la croissance pour fonctionner. Ce sont eux qui allouent les ressources. Il n'y en a jamais assez pour tout le monde à court terme ». « Si vous êtes assis avec deux personnes proposant une action et que cette action va donner à l’une d’entre elles moins qu’à l’autre, si elles s’attendent toutes deux à obtenir plus à long terme, elles seront d’accord. Mais s'il est clair qu'il n'y aura pas de croissance, que donner moins à l'un maintenant signifie qu'il y aura moins pour toujours, elles ne seront pas d'accord. Elles bloquent l'action. Et donc les hommes politiques pour fonctionner, ont absolument besoin de la croissance. C'est l'une des raisons pour lesquelles, par exemple, nous continuons à accumuler de la dette en espérant que la croissance nous permettra de la rembourser à l'avenir, plutôt que de traiter cette question, ils nient tout simplement que c'est un problème. »
Vers un nouveau modèle économique ?
La croissance représentée par le PIB, le produit intérieur brut est-elle synonyme de progrès ou un dogme qui nous a entraînés dans une fuite en avant catastrophique ? Pour l'économiste français Éloi Laurent, le PIB n'est pas un indicateur de bien-être, parce qu'il ne mesure pas les inégalités. « Au 21e siècle, quand on a sous les yeux la crise des inégalités, les crises écologiques et la crise démocratique, on se rend compte qu’on est prisonnier d'une boussole qui est une boussole du 20e, du 19e siècle même, et on est au 21e siècle […] Quand vous voulez faire augmenter le PIB, vous allez faire des politiques publiques qui vont faire augmenter le PIB, y compris au détriment de toutes les autres dimensions du bien-être, c'est-à-dire que vous allez détruire l'éducation pour faire augmenter le PIB. Vous allez détruire les écosystèmes pour faire augmenter le PIB, et cetera, et cetera, donc c'est effectivement gravissime.»
Alors faut-il renoncer à la croissance et opter pour la décroissance ? Faire décroître l'automobile et faire croître le bus, le vélo, le train, toutes les alternatives qui sont structurellement plus sobres, est l’une des alternatives défendues par The Shift Project. Ce think tank propose des réorganisations concrètes sur un certain nombre de grands systèmes comme celui de la santé, de l’éducation, de l’agriculture qui feraient fonctionner la société avec beaucoup moins d'énergie et de matières premières.
Invités :
- Audrey Boehly, journaliste scientifique, a réalisé une série de 13 podcasts « Dernières limites » sur l’impact et la pertinence du rapport Meadow. Le premier numéro de la série est paru le 3 mars 2022, le deuxième le 16 mars sur les principales plateformes de podcast...
- Aurélien Boutaud, docteur en Sciences de la Terre et de l’Environnement, chercheur associé au CNRS, co-auteur avec Natacha Gondran du livre « Les limites planétaires », aux Éditions La Découverte
- Matthieu Auzanneau, directeur du groupe de réflexion sur la transition énergétique The Shift Project, qui publie chez Odile Jacob « Climat, crises : le Plan de transformation de l’économie française ».

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