Chemins d'écriture

Littérature: retour sur la magie de l’enfance avec le Franco-Togolais Kossi Efoui

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Suite de la chronique sur Kossi Efoui. Ce second volet est consacré au dernier roman du romancier et homme de théâtre franco-togolais : Une magie ordinaire. Un roman pas comme les autres. Plus personnel et classique dans sa structure, ce nouvel opus, sous la plume d’un des auteurs les plus remarquables des lettres africaines contemporaines, raconte famille, pays, écriture et exil. Ce roman est aussi le portrait d’une mère « magicienne de l’ordinaire ».

Kossi Efoui en studio à RFI (20 octobre 2017).
Kossi Efoui en studio à RFI (20 octobre 2017). © RFI/Fanny Renard
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Une magie ordinaire est le sixième roman du Franco-Togolais Kossi Efoui. Auteur dramatique prolifique et reconnu, l’homme a également marqué la fiction africaine contemporaine de son empreinte, de son indéniable talent d’imagination et d’inventivité. Après cinq romans modernistes, inspirés de Samuel Beckett et de Sony Labou Tansi, dans lesquels l’écrivain a donné libre cours à sa vision « apocalyptique » d’un monde peuplé de pantins désarticulés, il propose dans son nouveau roman un récit autofictionnel, tendre et poignant.

La Cité des Papes

Une magie ordinaire est bâti autour des souvenirs d’enfance de l’auteur, éclairés par la figure d’une mère courage à l’Africaine, qui fut aussi à l’origine de la vocation littéraire de son fils. Nous sommes ici loin de la narration parodique et théâtralisée qui a fait la réputation de Kossi Efoui.

S’agit-il d’un tournant ? « Non, je ne crois pas, la réponse fuse. Je pense que chaque livre impose sa forme. Disons que le jeu des marionnettes, des détours par les multiples masques ne convenaient pas à l’écriture de ce livre. Mais la question s’est posée quand j’ai commencé à écrire. La décision était de mettre mon nom et à partir de ce moment-là, il y a une contrainte de vérisme qui s’est imposée dans la forme. Mais ça ne veut pas dire que ce soit un tournant. Si un autre livre demain m’invite à adopter cette démarche, je le ferais, mais je peux encore continuer à jouer avec les marionnettes et les masques. »

Le récit que livre Kossi Efoui dans son nouvel opus commence par un coup de fil en provenance du Togo annonçant l’hospitalisation de sa mère, alors que le fils se trouve à Avignon où le festival du théâtre bat son plein. Exilé en France depuis des décennies, occupé par ses engagements professionnels d’auteur dramatique, l’écrivain-narrateur ne peut se rendre au chevet de sa mère qui meurt à 6 000 km de la Cité des Papes. Mais le coup de fil a ravivé les souvenirs, ouvrant les portes du passé.

« Père fouettard de la Nation »  

Cheminant sur les sentiers de la mémoire, Kossi Efoui se souvient notamment des circonstances de son départ en exil dans les années 1990. Alors qu’il était étudiant à l’université et militait contre le règne sans fin de celui qu’il appelle le « père fouettard de la Nation », il est arrêté. La police l’accuse « d’avoir rédigé et distribué clandestinement des écrits appelant au soulèvement, au désordre, à l’anarchie ». Ces accusations lui vaudront des heures d’interrogations musclées et de tortures afin de lui soutirer des informations sur l’identité des cerveaux du mouvement, avant d’être libéré.

Sa maman l’attend, à la sortie de la prison. Inquiète de l’avenir de ce fils à constitution fragile, elle l’implore pour quitter le pays. « Va vivre. Va vivre ailleurs et ne reviens plus. Je préfèrerais que tu sois vivant loin de moi, même à jamais loin de moi, plutôt que mort ici, dans ce pays, dans mes bras. » Des paroles qui marquent pour la vie : « ces mots déchirés par la peur et rapiécés par le courage », écrit Kossi Efoui. L’écrivain se souvient aussi de la fierté de sa mère analphabète, en apprenant l’ambition littéraire de son fils. « Tu écriras sur le mensonge », lui chuchote-t-elle à l’oreille.

« J’ai mis du temps pour comprendre ce qu’elle voulait dire, confie l’écrivain. Je l’ai compris au fur et à mesure que j’ai écrit des livres. Les conteurs de chez moi, ils ont une formule pour clore le conte. Ils disent : « ceci est un mensonge qu’on m’a raconté et tel quel je vous le livre ». Le conteur fait trouble-fête et vient dire tout ceci est fabriqué, composé. C’est du mensonge aussi en face, sauf que c’est un mensonge qui ne dit pas son nom. C’est une pirouette du conteur pour attirer l’attention sur les prétentions des idéologues et autres prophètes à parler au nom d’une puissance transcendantale qui impose une vérité indépassable aux êtres humains. Le conteur, c’est celui qui donne un nom aux mensonges. »

Les leçons en deux langues

Le roman raconte comment, devenu conteur à son tour, Kossi Efoui a tenté de donner à travers ses livres un nom aux mensonges du pouvoir et des puissants dans son continent natal. « Le premier mensonge que j’ai nommé, c’est celui de la langue coloniale », se souvient le romancier.

Les premières pages du roman de Kossi Efoui sont sans doute les pages les plus pénétrantes qui ont été écrites depuis L’Aventure ambiguë sur les mensonges sur lesquels se fonde l’enseignement dans les écoles françaises et qui se perpétuent après l’indépendance, l'époque où l’écrivain a fait ses études. Les Africains, tout comme les petits Bretons, les Corses, les Italiens ou les Alsaciens, ont été victimes de ce même mensonge, consistant à minorer les langues vernaculaires au profit du français, qui serait seul apte à la poésie et à la connaissance.

Si malgré cette violence symbolique de l’école, l’enfant Kossi a su conserver son goût pour la langue coloniale jusqu’à devenir le grand écrivain français qu’il est aujourd’hui, il le doit à sa mère qui en lui faisant répéter ses leçons en éwé, rétablissait subtilement, le soir venant, l’équilibre entre la langue vernaculaire et le français. Cette conversation quotidienne en deux langues avec sa mère, qui supprimait la hiérarchie mettant en avant l’équivalence, la circulation des idées et des notions entre les langues, a été sans doute, reconnaît l’auteur, à l’origine de sa vocation littéraire.

Egérie et modèle

Kossi Efoui va plus loin, faisant de sa mère son égérie, son modèle en littérature, au même titre qu’Henri Michaux et Marguerite Yourcenar ont été, selon les dires de l’auteur, ses influences littéraires majeures. Étrangère au monde l’écriture, elle avait su incarner, à travers son goût pour les chants « qui la traversaient », une conception de l’art poétique plus proche de la transmission mystique et spirituelle que d’une construction académique et intellectuelle. « Je n’ai jamais séparé la poésie du gri-gri (…), l’écriture de l’exorcisme », proclame le fils.

Et d’ajouter :  « Moi, en tant qu’écrivain, je ne me considère pas que je suis un sujet qui maîtrise un objet. Je pense que moi-même, je suis chose parmi des choses, je suis traversé par des expériences qui ne sont pas les miennes propres, mais qui deviennent miennes parce que je fais corps avec les autres et parce que je fais aussi corps avec les forces hostiles qu’il y a au monde. Nous sommes traversés par des siècles. Je n’ai pas la prétention d’être maître de ce qui se passe en moi quand j’écris, comme je n’ai pas la prétention d’être le maître de mes rêves, par exemple. »

On l’aura compris, Une magie ordinaire est un roman sur la transmission des valeurs, des savoirs et de la poésie entre mère et fils. Le livre se clôt sur la disparition de la mère et de nouvelles révélations dramatiques et douloureuses sur la vie sous la dictature, qui constitue l'arrière-fond de ce roman à la fois critique et célébrationnel.

Une magie ordinaire, par Kossi Efoui. Éditions du Seuil, 157 pages, 17,50 euros.

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