Chemins d'écriture

Dans l'Afrique profonde, avec Sayouba Traoré

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Journaliste à RFI, notre confrère Sayouba Traoré est aussi écrivain. C’est un écrivain de talent, comme en atteste son œuvre riche, composée de romans, de recueils de nouvelles, de poésies. Lauréat du concours RFI/ACCT de la nouvelle en 1992, il s’est signalé à l’attention par son écriture à la fois ironique et évocatrice, qui associe la lucidité et la beauté du récit simple. Ses romans racontent l’évolution de son pays, le Burkina Faso, mettant en scène des personnages forts qui font face avec humanité et courage aux bouleversements d’une Histoire souvent brutale faite d’agressions et de dépossessions.

Sayouba Traore.
Sayouba Traore. © Archives personnelles de S. Traore.
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Tout le village de Kalakong est en émoi après la disparition de son vieux chef Koutoukana. La tradition exige qu'on mette à mort, à cette occasion, 200 hommes et femmes du clan afin d’assurer au défunt une suite funéraire à la hauteur de son rang. Mais les sacrifices humains ont été interdits depuis l’arrivée des occidentaux dans le village. Les chefs traditionnels se pressent dans le bureau du commandant de cercle, espérant lui faire entendre raison ou plutôt coutume ancestrale. Mais rien n’y fait. Ne sachant pas comment sortir de cette affaire hallucinante, le commandant promet d’en référer à Paris. « Allô, monsieur le ministre…

La suite de la nouvelle, c’est l’auteur qui la raconte : « Avec une voix baignée de respect hiérarchique, l’administrateur transféra ses soucis au Ministre. Ce dernier promit à son tour d’en référer au Président et au Conseil des ministres. Le télégramme que la capitale adressa au commandant laissa son destinataire pantois : « Affaire politique de la plus haute importance, stop !... Accordez seulement 10 têtes, stp. … Exigez la plus grande discrétion, stp !... Toute fuite doit être éteinte par tous les moyens et définitivement, stp ! »

Cette chute est emblématique du talent de l’auteur Sayouba Traore qui en quelques mots sait mettre le doigt sur l’hypocrisie et la compromission des hommes, en l’occurrence de la classe politique. « Les têtes », c’est le titre de sa nouvelle. Sayouba Traoré n’est guère inconnu des auditeurs de Radio France Internationale. Son émission hebdomadaire « Le coq chante » est très populaire. Mais les auditeurs de la radio mondiale ne savent peut-être pas que l’homme est aussi un écrivain accompli.

L’aventure de l’écriture

Romancier, poète et nouvelliste, Sayouba Traoréé a une dizaine de titres à son actif.  Il s’est fait connaître en remportant en 1992 le concours de la nouvelle de RFI. Intitulée simplement « L’œuf », la nouvelle primée racontait les heurs et malheurs de la démocratie en Afrique, avec un humour à l’Anglaise et un sens magistral de la chute. Originaire d’Ouahigouya, troisième ville du Burkina Faso, Sayouba Traoré est engagé dans l’aventure de l’écriture depuis les années 1980 lorsqu’il est arrivé en France pour ses études. Ecrivain engagé, il écrit dans une langue parlée, qui sait se faire délicieusement ironique et subtilement dénonciatrice des travers et des compromissions de la société.

Nouvelliste talentueux, l’auteur des « Têtes » aurait aimé faire carrière dans la fiction courte, mais paradoxalement les nouvelles ont peu de lecteurs dans le pays de Maupassant et de Mérimée. Alors, c’est sur les conseils de son mentor, l’écrivain haïtien Jean Métellus, qu’il s’est lancé dans le roman.

Le premier roman de Sayouba Traoré, Loin de mon village, c’est la brousse est un roman fleuve à la Roger Martin du Gard, qui raconte l’histoire d’une famille sur trois générations dans la Haute-Volta (ancien nom du Burkina Faso), sur fond de colonisations, indépendance et exode rural. Avant d’envoyer le manuscrit à un éditeur, l’écrivain se souvient de l’avoir longtemps gardé sous le coude « de peur de subir des refus ».

« C’est au Salon du Livre de Paris que j’ai rencontré les responsables de la maison d’édition Vents d’ailleurs, confie l’auteur. Rien que le nom de la maison m’a parlé. Moi, je faisais partie justement de ces « vents d’ailleurs », même si j’étais une petite brise à l’époque. Ce nom et la philosophie qui va avec collaient avec ce que j’avais écrit. »

La fiction de Sayouba Traoré est aujourd’hui riche de 4 titres, sans compter ses recueils de nouvelles, tous publiés chez Vents d’ailleurs. L’action des romans se déroule quasi-systématiquement dans le pays profond, avec des protagonistes confrontés aux forces de l’histoire. Loin de mon village, c’est la brousse, le premier roman de Traore, est emblématique de la démarche historique de l’auteur.  Au centre du récit, Kougsalla, un village de la savane en pays moaga, qui se prépare pour la saison sèche quand une troupe d’infanterie coloniale prend possession des lieux.

Les enfants du cauchemar

Loin de mon village, c’est la brousse est un roman historique qui raconte comment la colonisation a aliéné les terres et les esprits. Une thématique sensible, délicate parfois à partager   avec le public français, comme le raconte Sayouba Traoré au micro de RFI.

« On m’a invité à Bordeaux quand ce livre a été publié. Les gens trouvaient que j’étais un peu dur. Je leur ai donc demandé d’imaginer des noirs d’Afrique dans un grand bateur. Ils arrivent à Bordeaux. Ils accostent. Ils disent qu’ils ont découvert cette ville. Ils mettent des canons partout et font signer un papier confirmant que les autorités acceptent que leur pays devienne un protectorat. Selon les termes de ce document, la population locale n’a plus le droit de cultiver des vignes. Ils devront cultiver du sorgho. Ils devront accepter que leurs fils soient envoyés pour travailler dans des plantations. On m’a dit que ce que décrivez, c’est un cauchemar. Je leur réponds, nous les anciens colonisés, nous sommes les enfants de ce cauchemar, les enfants de cette plaie béante que personne n’a songé à cautériser. »

Sayouba Traoré est un homme en colère. Si, à ses yeux, la colonisation constitue le mal originel dont souffre l’Afrique, sa narration critique n’épargne pas les travers de la société burkinabé que sont le poids de la tradition, la corruption des puissants, ou encore la marginalisation des femmes qui est au cœur de son nouveau roman, Pougpaala, une vie de femme, en attente de publication.

 « Pougpaala est l’histoire de Paala, personange central de ce roman, , explique l’auteur. Son sous-titre : Une vie de femme. En fait, je raconte à travers la vie de mon héroïne celle de beaucoup de femmes de notre époque. Mon ambition était de donner à voir ce que les femmes vivent au quotidien, pas seulement dans les villages, dans les villes aussi. L’urbanisation de l’Afrique a été un bouleversement pour tout le monde, encore plus pour les femmes. Elles ont payé le prix fort. »

Les romans de Sayouba Traoré sont de véritables réquisitoires, nourries par la force tranquille d’une écriture maîtrisée, réaliste et souvent poétique. Il y a du Chinua Achebe, mais aussi du griot dans cette prose mâtinée de métaphores et de proverbes. Kourouma ne disait-il pas « quand la parole se perd, c’est grâce au proverbe qu’on la retrouve » ? Une stratégie d’écriture que le chroniqueur du « Coq chante » a fait sienne, moins pour retrouver la parole perdue, que pour expliquer pourquoi les lendemains ne chantent pas dans une Afrique traumatisée par ses tragédies à répétition.

Lire Sayouba Traoré : bibliographie

Nouvelles

« Le symbole », Dernières nouvelles de la Françafrique (Vents d’ailleurs, 2003)

Un député va mourir (recueil de nouvelles) (Komédit 2004)

« Comsèrè », Dernières nouvelles du colonialisme (Vets d’ailleurs, 2006)

« L’œuf », Le passé postérieur (Sepia, 1994)

Romans

Loin de mon village, c’est la brousse (Vents d’ailleurs, 2005)

Les Moustaches du chat (Vents d’ailleurs, 2007)

L’héritier (Vents d’ailleurs, 2009)

Belle en savane (Vents d’ailleurs, 2014)

Frères, les regarder éplucher l’avenir (Vents d’ailleurs, 2015)

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