Chemins d'écriture

Au Tchad sans les étoiles, avec Nétonon Noël Ndjékéry

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Le Tchadien Nétonon Noël Ndjékéry explore dans son nouveau roman, Il n’y a pas d’arc-en-ciel au Paradis, la difficile thématique de l’esclavage transsaharien. Mêlant le souffle des grands récits épiques et la sagesse des contes, l’ouvrage raconte les horreurs de la traite négrière arabo-musulmane, qui se perpétue jusqu’à nos jours. Lauréat du prix RFI de la nouvelle, Noël Ndjékéry a un temps flirté avec le théâtre avant de s’imposer comme l’un des romanciers africains importants de sa génération.

Nétonon Noël Ndjékéry est un romancier suisse d'origine tchadienne. Son cinquième roman Il n'y a pas d'arc-en-ciel au paradis vient de paraître aux éditions Hélice Helas.
Nétonon Noël Ndjékéry est un romancier suisse d'origine tchadienne. Son cinquième roman Il n'y a pas d'arc-en-ciel au paradis vient de paraître aux éditions Hélice Helas. © Thierry Hensgen, Institut français
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Dans les années 1960, lorsqu’il grandissait dans son village natal, dans le sud tchadien, se souvient le romancier Nétonon Noël Ndjékéry, les adultes disaient et redisaient aux enfants impatients d’aller jouer dans la brousse, d’y faire attention aux fauves, aux serpents et surtout aux esclavagistes. Les parents craignaient que leurs rejetons ne soient enlevés par les négriers, conduits dans la péninsule arabique, puis vendus à la criée comme du bétail.

Le trafic d’humains est une pratique ancestrale dans cette région de la savane boisée du Tchad qui a longtemps été, rappelle l’écrivain, « un grenier à esclaves ». Selon Noël Ndjékéry, cette pratique ne s’est jamais vraiment arrêtée et se poursuit aujourd’hui encore, comme on a pu le voir en novembre 2017, sur des images insoutenables de CNN montrant la vente aux enchères d’esclaves noirs en Libye.

D’une ampleur épique

Hanté par l’histoire douloureuse de la traite négrière transsaharienne qui sévit dans son pays depuis la nuit des temps, le romancier tchadien en a fait le sujet de son nouveau roman au titre ironique Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, paru tout récemment. D’ampleur épique, le roman revisite la traite depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, en passant par la colonisation, les indépendances et l’avènement du groupe jihadiste Boko Haram, ouvertement esclavagiste.

On lira avec intérêt ce récit magistral portant sur des siècles d’asservissement, mené tambour battant, mêlant l’histoire, les mythes et les légendes. Le romancier raconte sept générations de traite, avec pour point de départ le dernier quart du XIXe siècle et la fuite des principaux protagonistes - deux hommes et une femme – s’échappant des caravanes négrières qui sèment la mort et la dévastation. 

Pourquoi le XIXe siècle ?« C'est un moment charnière pour l'Afrique moderne, répond l’auteur. C'est le moment de la Conférence de Berlin, c'est le moment de l'apogée de l'esclavage transsaharien. Et là, on retrouve en fait trois d'esclaves qui sont en fuite. Un jeune adolescent qui s'appelle Zeitoun et un esclave eunuque en fuite d'Arabie qui s'appelle Tomasta. Et ce Tomasta a pris avec lui la favorite du harem dont il avait la charge. Elle s'appelle Yasmina, elle est d'origine yéménite, et de peau blanche. Ces trois-là vont revenir dans le bassin tchadien et ils vont choisir d'aller s'établir sur une île qui est une île flottante sur le lac Tchad. »

Il n'y pas d'arc-en-ciel au Paradis, paru en mars 2022, est le cinquième roman sous la plume de l'auteur helvéto-tchadien Nétonon Noël Ndékéry.
Il n'y pas d'arc-en-ciel au Paradis, paru en mars 2022, est le cinquième roman sous la plume de l'auteur helvéto-tchadien Nétonon Noël Ndékéry. © Helice Helas

Ensemble, et avec pour seules armes le Coran, la Bible et le Talmud, le trio construira sur l’île une communauté idéaliste. L’avènement de ce monde nouveau n’est pas sans rappeler l’utopie de l’Anglais Thomas More ou Robinson Crusoé dans son « île aux trésors ». Si l’observation stricte des idéaux communautaires par les fondateurs leur permet de bâtir un « paradis terrestre » à l’abri des violences et des brutalités du monde, leurs successeurs ne réussiront guère à préserver l’utopie face aux aléas de l’Histoire, une Histoire jalonnée de guerres, de concurrences impérialistes et des dérives religieuses et fondamentalistes. Avec en background, la résurgence du phénomène de la traite négrière orientale.

« On a tendance à mettre en avant la traite atlantique qui, paradoxalement, a duré beaucoup moins longtemps, quatre siècles, alors que la traite dite arabo-musulmane a commencé en 652 après Jésus-Christ et perdure encore aujourd’hui, souligne Noël Ndjékéry. J’ai voulu remettre en lumière cette traite transsaharienne et puis la dépasser parce que le roman parle aussi de toutes les servitudes qui découlent de cette traite jusqu’à nos jours. Outre ses personnages principaux, le roman évoque aussi des grandes figures historiques. On parle de Rabah Fadlallah, qui était un sultan négrier de la fin du XIXe siècle. On parle aussi de Hissène Habré qui fut à sa manière, avec un passif de quelque 40 000 morts, un négrier. Et le roman se clôt sur Abubakar Shekau de Boko Haram qui, lui, n’a jamais caché sa filiation avec des négriers historiques. »

A l’école des griots

Malgré les années d’enquêtes et de recherches qu’a nécessité la rédaction d’Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, il serait injuste de réduire ce roman uniquement à sa dimension historique. L’auteur se réclame de l’école des griots qui « associe légendes et mythes à la narration de l’histoire factuelle ». Son ouvrage s’inscrit dans ce modèle, alternant avec brio les tragédies de l’histoire africaine et des contes fantastiques enchâssés dans l’intrigue principale. Ainsi, sirènes et « mamiwata » cohabitent dans ces pages avec des négriers sanguinaires et des patriarches lumineux. On est plus proche ici de Mille et une nuits et de Cent ans de solitude que de Guerre et paix ou du Hussard sous le toit. Le charme du roman réside aussi dans sa langue pleine de saveur et empreinte de poésie.

Né en 1956 à Moundou, au Tchad, Nétonon Noël Ndjékéry vit en Suisse depuis le début des années 1980. Son œuvre composée de pièces de théâtre, de romans et de nouvelles dont deux primées au le Concours de la meilleure nouvelle de langue française de RFI, puise son inspiration dans les heurs et malheurs de son continent et de son pays.

Il n’y a pas d’arc-en-ciel au Paradis est le cinquième roman de Noël Ndjékéry. L’homme s’était fait connaître du grand public en publiant au tournant du siècle son premier roman Le sang de Kola dans lequel, à travers le destin tragique d’un village fictionnel africain, il dénonçait la dictature de Hissène Habré et la cruauté de son régime. Les dérives du pouvoir, les échecs des indépendances, mais aussi les affres de l’histoire du continent sont au cœur de l’œuvre multidimensionnelle de cet auteur qui a très tôt pris conscience que l’Afrique dominée dans laquelle il a grandi n’a pas dit son dernier mot.

« J'ai grandi dans une garnison militaire française, se souvient-il. Cela m'a permis d'aller très tôt à l'école occidentale. J'ai même eu le privilège d’aller au jardin d'enfants et donc j'ai appris très tôt la langue française. Dès l’instant où je quittais l'univers de l'école occidentale, je tombais chez moi et dans ma famille, mon père parlait une espèce de français petit nègre et ma mère ne parlait pas du tout français. Je baignais à la fois dans un monde occidentalisé à travers l'école, et puis dans le cocon familial, c'était l'Afrique éternelle que je retrouvais. Et donc je pense que j'ai eu très, très tôt conscience que cette Afrique des villages que mes parents me transmettaient étaient en fait un monde en sursis. J'ai eu très tôt conscience qu'il fallait essayer de non pas de sauver ce monde qui était en train de mourir, mais de le prolonger en quelque sorte à travers l’écriture. J'ai senti que ce monde de l'Afrique, le village de l'Afrique profonde, avait quelque chose à dire au reste du monde. »

C’est pour dire cette Afrique en sursis qu’écrit Nétonon Noël Ndjékéry, mais aussi, comme ce dernier a confié récemment au micro de RFI, pour savourer « le privilège qui est celui du romancier de vivre plusieurs vies dans une seule ».


Il n’y a pas d’arc-en-ciel au Paradis, par Nétonon Noël Ndjékéry. Editions Hélice Hélas, 360 pages, 20 euros.

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