Chronique transports

Faute de matières premières, des constructeurs de voitures suspendent leur activité

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Un être vous manque et tout est dépeuplé ! Ou plutôt un composant électronique vous manque et tout est dépeuplé ! En tout cas en Europe. C’est du jamais vu sur le marché des semi-conducteurs automobiles. La généralisation des véhicules électriques entre en concurrence avec d'autres produits connectés en forte demande sur tous les continents. Or, les matières premières qui composent les batteries électriques proviennent de l'étranger. Cette dépendance vis-à-vis de l'Asie, de l'Australie et d'autres régions du monde a déclenché l'alarme des équipementiers européens.

Employés d'une usine automobile à Shanghaï, en Chine, le 24 février 2020 (Photo d'illustration).
Employés d'une usine automobile à Shanghaï, en Chine, le 24 février 2020 (Photo d'illustration). © Aly Song/REUTERS
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En Europe aujourd’hui, près de 80 % des terres rares sont importées de Chine. Ces minerais et métaux servent à faire fonctionner les essuie-glaces ou l’autoradio. Dans les véhicules électriques, certaines terres rares sont utilisées pour construire les moteurs. Tandis que pour les batteries et l’ensemble des systèmes, ce sont des métaux particuliers comme le lithium pour composer les batteries. Le tantale, l’indium et le gallium sont plutôt réservés aux petites fonctions.

L’an dernier, la pandémie de Covid-19 avec la hausse des demandes de matériels électroniques (donc de puces électroniques) a accentué la tendance. Toutes les opérations de traitement des métaux et minerais ne se font pas au même endroit. Or, comme le transport logistique a été paralysé, le marché s’en est trouvé encore plus déséquilibré. Même la production de machines agricoles a été touchée.

La Chine protège ses matières premières

L’annonce n’a pas fait la Une des médias. Pourtant, les experts la jugent fondamentale. La Chine annonce la couleur dans son combat économique contre Washington. Le 17 octobre dernier, l’assemblée chinoise a adopté une loi autorisant le pays à interdire l’exportation de matières premières pour composants électroniques (terres rares et métaux). Dans la région, l’Indonésie depuis 2014 a une loi autorisant cette protection du marché.

Ce protectionnisme chinois date du début des années 2000. L’époque où l’Europe et d’autres pays comme le Japon ont fermé leurs mines jugées trop polluantes. En 2010, partie en guerre commerciale contre le Japon, la Chine avait bloqué ses exportations de terres rares vers Tokyo. Les cours mondiaux avaient alors flambé.

Les terres rares ne sont pas rares

Gaëtan Lefebvre est ingénieur géologue au BRGM, le Bureau des recherches géologiques et minières en France, il explique l’enjeu pour l’un des secteur clé de l’avenir, la fabrication des batteries des voitures électriques.

« Ne mélangeons pas tout, dit-il. Les terres rares sont essentiellement présentes dans les véhicules standard, à essence. Ce sont d’autres métaux qui servent aux batteries de véhicules électriques. Les terres rares contrairement à ce que l’on peut penser ne sont pas rares du tout ! Ces minerais et métaux sont même nombreux dans les sols. Leur nom provient du XVIIIème siècle, ajoute-t-il, lors de leur découverte c’était nouveau, on les a donc appelés rares ! »

Il faut environ 300 grammes de terres rares pour un véhicule à essence. Il en faut 800 grammes dans une voiture électrique.

Réunions de crise en Europe et en Amérique

L’administration Trump avait déjà lancé le projet. Celle du nouveau président Biden continue le travail. Les concertations avec la filière automobile sont en cours. En Europe aussi, l’ère du just in time, cette adaptation en temps réel, de l’offre et de la demande est révolue.

En France, les équipementiers ont sonné l’alerte. Ils demandent une meilleure concertation avec toutes les filières de l’automobile.

La course au lithium

C’est à celui qui achètera le plus vite ! Les terres rares ou les métaux (tels que le lithium) sont des ressources finies. La Chine et les États-Unis visent à sécuriser leurs approvisionnements. La Chine a même racheté des entreprises au Canada, au Chili et en Australie. Ce lithium, indispensable aux véhicules électriques, est aujourd’hui détenu à 60 % par la Chine.

L’Europe a du retard, mais elle le rattrape ! Pour contrer cette dépendance chinoise, Bruxelles a réagi. En septembre dernier, la Commission européenne a présenté son plan sur les matériaux stratégiques. L’UE veut aboutir à 80 % de sa demande intérieure en lithium. Des gisements existent au Portugal, en Espagne, dans le nord de la France et le sud de l’Allemagne. Mais selon les experts, ces mines ne suffiront pas à une indépendance à long terme.

L’Airbus des batteries

Pour les batteries de véhicules électriques, ce sont la France et l’Allemagne qui ont agi les premières. Il y a 2 ans, elles ont fait naître l’Airbus des batteries.

Bernard Deboyser est ingénieur en énergie et mobilité électriques en Belgique. Pour lui, cet Airbus des batteries est un bon choix : « L’idée, explique-t-il, est de calquer l’Airbus (modèle européen né de la compétition mondiale des constructions d’avions) aux fabrications de batteries. Cet Airbus des batteries sera plutôt un consortium, une coopération entre plusieurs unités dispersées en Europe. Seize usines sont déjà localisées. Les premières ont ouvert en Pologne et en Hongrie. D’autres suivront dans le nord de la France. Les budgets sont importants, souligne-t-il avec sa casquette de rédacteur en chef du site révolution-energetique.com. L’Europe a débloqué 3 milliards de fonds publics et 5 milliards de fonds privés. »

L’Afrique et son cobalt

L’enjeu pour les batteries électriques concerne d’autres métaux présents sur plusieurs continents du monde comme l’Australie, l’Amérique du Nord et Latine et bien entendu l’Asie. 80 % du cobalt raffiné provient aujourd’hui de Chine. L’Afrique avec le Congo aurait de quoi posséder une manne beaucoup plus importante qu’elle n’a aujourd’hui.

« Le problème, souligne encore Gaëtan Lefebvre, du Bureau de recherches géologiques et minière, étant la valeur ajoutée de ces minerais et métaux bruts issus des sols africains. C’est le problème. Si les ressources ne sont qu’extraites des sous-sols et exportées telles quelles, une partie de leur valeur est perdue. Tous les gagneraient beaucoup plus en ayant leur propre industrie de transformation. Ainsi, ils pourraient exporter au prix fort. »

L’Indonésie en modèle pour l’Afrique

Un pays, l’Indonésie a réussi sa transition en matière de raffinage des minerais. Pour traiter leur nickel et leur acier inoxydable, ils ont commencé par interdire l’exportation brute. Ensuite, ils ont attiré les investisseurs étrangers pour construire des usines d’aciers inoxydables sur place. Ce pari a marché ! Aujourd’hui l’Indonésie compte parmi l’un des acteurs clés du marché des batteries électriques.

L’une des autres réussites du pays est la lutte contre le dépôt des déchets miniers en mer. En tout cas la volonté politique est là. L’Indonésie, consciente de la pollution de son industrie, veut en interdire la pratique.

La solution, le recyclage des batteries

Pour aider à rétablir ce déséquilibre commercial, l’ultime solution arrivera en bout de chaîne. Le recyclage des batteries de voitures électriques n’est pas encore né puisqu’il faut 20 ans pour qu’une batterie meure. 10 ans dans le véhicule, ensuite 10 ans en conteneur à électricité renouvelable.

Ces batteries électriques, avec ces bouts de terres transformées qui la composent, finiront leur vie rangées dans des hangars, pour en somme contenir de l'énergie éolienne ou se gorger de l’énergie solaire.

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