En Italie, l’élection présidentielle de fin janvier a failli déboucher sur une grave crise politique : le Premier ministre était le seul candidat consensuel parmi les grands électeurs de ce scrutin au suffrage indirect, et son élection aurait entraîné la chute du gouvernement. En acceptant un second mandat, à 80 ans et à contrecœur, le président Sergio Mattarella devrait donc garantir la stabilité du pays jusqu’aux législatives de 2023.

L’attitude est impassible, le regard perçant. Le 29 janvier, lorsque Sergio Mattarella remercie les grands électeurs pour leur confiance, il rappelle qu’il accepte uniquement de reléguer les considérations personnelles au second plan pour « ne pas se soustraire au devoir » dans un contexte de crise sanitaire, économique et sociale. Un sens des responsabilités apprécié : avec 759 votes sur 983 Sergio Mattarella est le président italien le mieux élu après Sandro Pertini.
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Si le président de la République est essentiellement garant de la Constitution en Italie, son pouvoir et son rôle sont assez élastiques en temps de crise. Et depuis 2018, Sergio Mattarella joue un rôle déterminant. Lors du premier gouvernement de Giuseppe Conte formé en 2018, il a été « le seul point de repère au niveau européen et international, au moment où l’Italie était victime de la furie nationaliste des 5 étoiles et de la Ligue », explique le député européen Sandro Gozzi, du groupe centriste Renew.
Par exemple lors du rappel à Paris de l’ambassadeur Christian Masset suite aux rencontres avec les gilets jaunes de l’actuel ministre des Affaires étrangères Luigi di Maio. « Il est clair qu'à ce moment-là, le seul interlocuteur pour Emmanuel Macron, et pour d’autres, comme Angela Merkel, c’était Sergio Mattarella ». Le président s’était aussi opposé à l’époque à la nomination de l’eurosceptique Paolo Savona au poste de ministre de l’Économie, comme la Constitution lui en donne le droit.
Un tacticien discret
Mattarella travaille dans la discrétion, c’est l’un de ses traits de caractère, rapporte Sandro Gozi. L’homme « parle peu, il écoute, il observe beaucoup, c’est quelqu’un qui aime étudier les dossiers en profondeur – c’est un juriste, il a également été juge à la Cour constitutionnelle ». Et s’il est un peu taiseux, « c’est peut-être à cause son caractère sicilien ». La Sicile dont il est originaire et la politique ont marqué Sergio Mattarella dans sa chair : un père ministre, et un frère président de la région Sicile assassiné par la mafia en 1980.
L’homme est reconnu par les Italiens comme un grand personnage intègre et expérimenté, détaille le politologue Giuseppe Bettoni de l’université de Rome, Tor Vergata : « Mattarella est connu pour la simplicité et la sobriété de ses manières. En même temps, c’est un homme d’une grande compétence en "cuisine" politique, parce qu’il a participé à tellement de négociations, d’élaboration de compromis de gouvernement, qu’il sait parfaitement en quoi consiste la vie politique, il n’est ni dupe. Et ce n’est pas un naïf non plus ».
C’est même un personnage de premier plan de l’histoire politique de la péninsule. Il a notamment été l’un des architectes du centre gauche italien. Ayant incarné l’aile gauche de la Démocratie chrétienne jusqu'à ce que le parti implose, il a ensuite contribué à la fondation de l’Olivier, qui allait devenir le Parti démocrate. Et en Sicile, explique Giuseppe Bettoni, c’est lui qui pousse l’actuel maire de Palerme, Leoluca Orlando sur le devant de la scène politique.
L’homme du « Mattarellum »
À l’étranger, Sergio Mattarella est inconnu ou presque et quand il l’est, c'est comme président de la République. Mais avant d’accéder à la tête de l’État, il a imprimé sa marque sur la société italienne au cours d’une carrière politique accomplie. De ses principales initiatives, Giuseppe Bettoni retient tout d’abord la loi électorale de 1993, dite « Mattarellum », qui avait mis fin à la proportionnelle intégrale.
« Cette loi avait permis d’aboutir à des compromis, c’est surtout pour ça qu’il est connu. Mais il a joué un rôle très important en tant que ministre de la Défense, poste qu’il a occupé quand l’Italie a participé à la mission au Kosovo, c’est quelque chose qu’il ne faut pas oublier ; et en tant que ministre de l’Éducation, avec sa réforme de l’autonomie sur le système scolaire ». Sergio Mattarella a également dirigé les services secrets, où il a été à l’origine « d’une "importantissime" réforme du renseignement italien ».
Influent jusqu'au bout
Mais aujourd’hui, à 80 ans, celui qui a préféré le deux-pièces d’une résidence hôtelière aux fastes du palais du Quirinal, et qui a renoncé à une partie de sa retraite, aspire à passer du temps avec ses petits-enfants. « C’est un secret de Polichinelle, rapporte Giuseppe Bettoni, Sergio Mattarella va probablement démissionner dès que Draghi aura fini son mandat, ou un petit peu avant la fin du mandat parlementaire. Voilà pourquoi il a accepté. En même temps, Mattarella est un homme qui fait beaucoup de politique, mais qui a un niveau d’éthique élevé. Il est donc possible qu’il démissionne après les législatives, pour que le nouveau Parlement puisse élire "son" président de la République. »
L’enjeu est de taille : en démissionnant avant les législatives, Sergio Mattarella permettrait au Premier ministre Mario Draghi, démocrate et pro-européen, de lui succéder – comme le souhaite l’intéressé. S'il choisit d'attendre le résultat des législatives, par respect des institutions et des règles, son successeur pourrait avoir un tout autre profil, si l’on en croit les sondages de fin janvier, qui donnaient 38% des intentions de vote aux partis d’extrême droite Ligue et Frères d’Italie, et 14% au mouvement populiste 5 étoiles. À l’heure de la retraite encore, Sergio Mattarella marquera le destin de l’Italie.
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