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Stefano Beltrame, l’œil de Matteo Salvini à Moscou

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La nomination de Stefano Beltrame, nouvel ambassadeur italien à Moscou, a fait du bruit lorsqu'elle a été annoncée. Ce diplomate a la particularité d'être un proche de Matteo Salvini. Or, le dirigeant de la Ligue du Nord, allié de Georgia Meloni, n'a jamais caché son admiration pour la Russie de Vladimir Poutine.

Stefano Beltrame, nouvel ambassadeur d'Italie à Moscou.
Stefano Beltrame, nouvel ambassadeur d'Italie à Moscou. © Bundesministerium für Finanzen, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons
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Stefano Beltrame était auparavant ambassadeur à Vienne en Autriche et il va désormais bientôt présenter ses lettres de créance à Vladimir Poutine. Cette nomination n'a pas manqué de susciter la controverse à Rome. Pourtant, le diplomate de 64  ans peut se targuer d’un parcours exemplaire et d’un CV justifiant à lui seul cette nomination. 

« C’est un diplomate chevronné qui a eu un parcours classique, souligne Guiseppe Bettoni, professeur de géopolitique à l'Université de Rome Unitelma Sapienza. Il a eu sa licence en sciences politiques puis il a suivi une formation au ministère des Affaires étrangères et a intégré le corps diplomatique en 1991. Depuis, il a franchi chaque étape requise pour un diplomate italien. »

Il est nommé à diverses fonctions au Moyen-Orient, en Europe et en Asie. Un parcours exemplaire qui le conduira au poste d'ambassadeur à Vienne, puis à Moscou. Parallèlement, il se rapproche de la Ligue du Nord en devenant le conseiller de l’un des hommes forts du parti italien, l’inamovible président de la région de Vénétie Luca Zaia. « Stefano Beltrame est lui-même originaire d’une toute petite commune du département de Vérone, et son entrée dans le giron de la Ligue s’est faite par échelons, jusqu’au niveau gouvernemental, puisqu’il finit par devenir le conseiller diplomatique de Matteo Salvini en 2018-2019 », poursuit Guiseppe Bettoni. 

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L’affaire du « Metropol » de Moscou

En 2018, Matteo Salvini, le tonitruant dirigeant de la Ligue du Nord, est alors au faîte de sa popularité. Il occupe le poste de ministre de l'Intérieur dans le premier gouvernement de Giuseppe Conte. Stefano Beltrame va organiser plusieurs déplacements pour le ministre, dont l’un à Moscou, qui va rester dans les mémoires en Italie en raison de l’affaire « du Métropol », du nom du célèbre hôtel situé non loin de la place Rouge. « Un rendez-vous a eu lieu entre trois conseillers de Salvini et des pseudo-entrepreneurs russes, raconte Guiseppe Bettoni. En fait, on leur proposait un financement illégal de la Ligue du Nord, par le biais de la vente de pétrole. L’affaire s’est terminée par un non-lieu parce que la transaction n’a pas abouti, mais les magistrats ont bien reconnu qu’il y avait eu négociation et c’est une tache qui n'a pas disparu. »

Le dossier a été classé par la justice italienne, mais il reste les nombreuses déclarations pro-russes de Matteo Salvini. De la justification de l’annexion de la Crimée en 2014 aux lauriers tressés en 2019 à Vladimir Poutine, qu'il avait décrit comme « le meilleur homme d’État actuellement sur terre ». Depuis l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, Matteo Salvini a quelque peu nuancé ces louanges, mais il reste extrêmement critique de la ligne pro-Ukraine adoptée par Georgia Meloni.

Dans ces conditions, pourquoi la dirigeante italienne a-t-elle accepté de nommer à Moscou un ambassadeur proche de Matteo Salvini ? Pour le chercheur italien Lorenzo Castellani, de l’Université libre Guido Carli à Rome, il ne s'agit pas d'une inflexion diplomatique de la part de Georgia Meloni, mais plutôt d’un accord pragmatique avec un allié dont elle dépend politiquement. « Georgia Meloni doit payer le prix pour gouverner avec Salvini, et elle le paie sur certaines réformes nationales ou nominations, mais pas sur les questions fondamentales, telles que la politique étrangère ou les relations avec l’Europe, analyse-t-il. Je pense qu'avec son ministre des Affaires Étrangères, Antonio Tajani, elle a décidé d’accorder à Salvini cette nomination et le droit de faire des déclarations sur la Russie, tout en réaffirmant leur emprise sur la politique étrangère et sur le soutien à l’Ukraine. »

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Une nomination symbolique

Certes, Georgia Meloni s'est, elle aussi, montrée élogieuse à l'égard de Vladimir Poutine avant d'arriver au pouvoir. Mais, contrairement à son allié de la Ligue du Nord, elle a adopté une position très claire à partir de février 2022 et de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, en rangeant son pays dans le camp des alliés de Kiev. « Giorgia Meloni n'a jamais voulu devenir la Viktor Orban de la Méditerranée et n'imagine pas une seconde le devenir, pointe le chercheur Guiseppe Bettoni. Être souverainiste et anti-immigration ne veut pas forcément dire devenir pro-Poutine et anti-Zelensky. Sur ce point fondamental, je ne pense vraiment pas qu'il y aura du changement. »

Le nouvel ambassadeur italien à Moscou n'aura donc que peu de marge de manœuvre pour infléchir la position italienne. Bien que symbolique, sa nomination peut être considérée cependant comme une victoire pour Matteo Salvini, car le dirigeant de la Ligue du Nord continue de prôner et d'espérer une reprise du dialogue avec Vladimir Poutine. « Salvini table sur un processus de paix qui pourrait aboutir d’ici trois à quatre ans, décrypte de son côté Lorenzo Castellani. Et lorsque ce jour viendra, ce sera une excellente chose pour lui d’avoir un homme à lui à Moscou. » 

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