Européen de la semaine

Le prince Charles, prince régent ou futur roi ?

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La régence a-t-elle commencé au Royaume-Uni ? C’est la question qui se pose ouvertement outre-Manche depuis que le prince Charles a prononcé le discours du trône, le 10 mai dernier, à la place d’Elizabeth II. Cette semaine, le prince Charles a également remplacé la souveraine, fragilisée par des problèmes de santé, pour une tournée de trois jours au Canada. Fils mal-aimé, longtemps impopulaire dans son pays, l’éternel prince héritier de la couronne britannique assume de plus en plus de responsabilités en lieu et place de sa mère. Mais finira-t-il par monter sur le trône ?

Le prince Charles, lors du discours du trône, le 10 mai 2022 à Londres.
Le prince Charles, lors du discours du trône, le 10 mai 2022 à Londres. © AP/Alastair Grant
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Il aura attendu d’avoir 73 ans pour remplir, pour la première fois, cette fonction hautement symbolique dévolue aux souverains britanniques. Sur un ton neutre, et sans trahir la moindre émotion, le prince Charles a prononcé le 10 mai dernier le discours du trône, le discours annuel écrit par le gouvernement britannique et lu par le souverain devant le Parlement. À sa droite, l’emplacement habituellement réservé au trône d’Elizabeth II était vacant.

Âgée de 96 ans, fragilisée par des problèmes de santé, la reine avait été contrainte de céder sa place à son fils aîné, et ce pour la première fois depuis son Couronnement il y a bientôt 70 ans. « C’est un tournant, c’est le signe que la reine vieillit et qu’elle ne peut plus remplir toutes ses obligations », souligne le journaliste Michel Faure, auteur d’une biographie du prince de Galles*. « Charles est là pour la remplacer, mais cela se déroule dans une sorte de continuité progressive qui n’a jamais été traitée comme une régence. »

Le tabou de l’abdication

Officiellement, pas question de parler de régence, qui n’est prévue que dans le cas où la souveraine souffrirait de maladie mentale. L’abdication n’est pas non plus envisagée : elle est devenue tabou depuis celle d’Édouard VIII, en 1936**. En outre, la reine a fait le serment, lors de son Couronnement en 1953, de servir son peuple jusqu’à la fin de ses jours. Enfin, une abdication pourrait rouvrir, dans certains pays et en particulier en Australie, la question du rattachement à la Couronne britannique.

À ces raisons vient s’ajouter peut-être une relation parfois difficile entre Elizabeth II et son premier fils, appelé, s’il devient roi, à devenir Charles III. « Dans l’histoire de la Couronne britannique, les relations entre les souverains et leur successeur sont toujours difficiles - depuis au moins le XVIIIe siècle », rappelle Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne et spécialiste de la monarchie britannique. « Il semble que le fils préféré de la reine Elizabeth, ce soit le prince Andrew (né en 1960), et aux yeux de Charles, sa mère a toujours été plutôt distante, entièrement accaparée par ses obligations de souveraine. »

Les relations ont été difficiles également avec son père, le prince Philip (décédé en avril 2021) qui lui a imposé une éducation « à la dure » dans l’internat de Gordonstoun, où lui-même s’était épanoui dans les années 1930. « Charles y a vécu un véritable enfer », souligne Philippe Chassaigne, « et a souffert tout le temps qu’a duré sa scolarité. Il en a résulté beaucoup d’incompréhension, ce qui s’est traduit par des affrontements ouverts avec son père et des rapports plus distants et difficiles avec sa mère. »

Convictions écologistes

Fils mal-aimé, le prince Charles a longtemps souffert également de son impopularité auprès des sujets britanniques. À tel point que certains imaginaient que la Couronne puisse passer directement d’Elizabeth à son petit-fils William, fils aîné de Charles et de sa première femme, la princesse Diana, décédée en 1997 dans un accident de voiture à Paris.

Au cours des cinq dernières années cependant, la cote de popularité du prince de Galles est remontée, lentement mais sûrement. En raison d’abord de son intérêt très précoce pour un sujet qui préoccupe aujourd’hui un grand nombre de Britanniques : la protection de l’environnement. « Il a été pionnier sur un certain nombre de sujets qui sont aujourd’hui très populaires », pointe le journaliste Michel Faure. « La protection de l’environnement, mais aussi l’attention donnée aux changements climatiques, et à une nourriture sans entrants chimiques. Il a traversé des moments très difficiles, notamment avec la fin de sa relation avec Diana, mais il a remonté la pente avec une constance tout à fait remarquable et en conservant au fond les mêmes idées. »

Le prince Charles a également bénéficié d’un autre atout pour reconquérir le cœur des Britanniques : sa femme Camilla, son amour de jeunesse, qu’il finit par épouser en 2005, et qu’il impose progressivement à ses côtés. « Les critiques étaient très fortes contre lui au moment de la mort de Diana ou même pendant le mariage », poursuit Michel Faure. « Et, finalement, quand il a fait rentrer Camilla dans sa vie et dans sa vie publique, les gens se sont réconciliés avec Charles. La personnalité de Camilla y joue un grand rôle, car elle est ouverte, vivante, sympathique. Même la reine l’apprécie alors qu’elle considérait à une époque qu’elle avait été à l’origine de tous les malheurs de la monarchie. »

► À lire aussi : Royaume-Uni: Camilla reine consort, les Britanniques divisés

Vers une « géronto-monarchie » ?

Devenu populaire sur le tard, le prince Charles est prêt à assumer les fonctions de souverain. Le temps doit paraître long à celui qui détient le record de longévité dans le rôle de prince héritier ! Et les Britanniques sont de plus en plus nombreux à souhaiter une transition du vivant de sa mère (plus d’un tiers, selon un sondage effectué au début du mois de mai, contre un quart le mois précédent).

Mais Elizabeth II, malgré ses problèmes de santé, ne semble avoir aucunement l’intention de renoncer au Trône. Contrairement à ses homologues espagnols, belges ou néerlandais, qui ont choisi, eux, de céder leur place de leur vivant – ce qui a permis au passage de donner un coup de jeune à l’institution monarchique dans leurs pays. S’il accède au trône, Charles risque de toute façon de n’être qu’un souverain de transition, septuagénaire qui plus est. Dans une tribune au vitriol publiée dans les colonnes du Times le 13 mai dernier, l’ancien député conservateur Matthew Parris prie la souveraine de céder sa place, faute de quoi, écrit-il, les Britanniques assisteront à l’avènement d’une « géronto-monarchie » qui pourrait être fatale, selon lui, à la survie de l’institution.


Charles, roi d’Angleterre (éditions L’Archipel, 2021)

** pour pouvoir épouser Wallis Simpson.

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