Suella Braverman, l’épineuse caution droitière du Premier ministre britannique
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Il y a un an presque jour pour jour, 27 migrants se noyaient dans la Manche en traversant vers l’Angleterre. Cette semaine, le 14 novembre, la ministre de l’Intérieur britannique Suella Braverman est venue signer à Paris avec son homologue un nouvel accord de surveillance des côtes françaises. Elle venait d’être renommée à ce poste par Rishi Sunak après une démission pour faute et des propos outranciers. Portrait.

Ancrée à l’extrême-droite du Parti Conservateur, Suella Braverman ne s’embarrasse pas de retenue lorsqu’elle évoque les sujets qui lui tiennent à cœur, comme la lutte contre l’immigration. « J’adorerais voir à la une du Telegraph la photo d’un avion qui décolle pour le Rwanda. C’est mon rêve ! Mon obsession ! » a clamé l’ancienne avocate de 42 ans en marge d’une conférence des Tories début octobre. La nouvelle ministre de l’Intérieur soutient ardemment l’accord signé par sa prédécesseure Priti Patel avec Kigali. D’un montant de 120 millions de livres (144 millions d’euros), il permettrait aux autorités britanniques d’envoyer sur le territoire rwandais les migrants sans visa et les demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni. Invalidé par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), il ne s’est pas concrétisé.
D’autres mots de Suella Braverman ont déclenché une mini-crise diplomatique avec l’Albanie : la ministre avait qualifié les migrants albanais de criminels en bandes organisées. Le Premier ministre Edi Rama l’a en retour accusée d’alimenter la xénophobie pour masquer des échecs politiques.
Autant de propos et positions qui inquiètent les associations humanitaires alors que Londres et Paris viennent de signer un nouvel accord de coopération frontalière, à quelques jours de la commémoration du naufrage du 24 novembre 2021 survenu dans un contexte de vives tensions entre les deux capitales. La fondatrice de Care4Calais rappelle que Suella Braverman a évoqué une « invasion à combattre » en parlant des migrants. « Nous savons que ce dénigrement ne reflète pas l’opinion générale, affirme Clare Moseley. Et c’est très décevant d’entendre le gouvernement tenir des propos qui sèment la haine et la division dans le pays. Ce n’est pas bon pour la société, et nous sommes très déçus par cette approche. Suella Braverman a dit publiquement que selon elle les gens qui sont à Calais ne sont pas en besoin de protection, notre expérience démontre le contraire. Elle est très favorable au projet Rwanda. Nous ne sommes pas très optimistes pour l’avenir. »
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L’image d’abord
Si les associations dénoncent la signature de ce nouvel accord avec la France pour renforcer la surveillance des côtes, elles ne sont pas les seules. Les critiques viennent aussi du parti conservateur. La députée Torie du Kent Nathalie Elphicke juge que le texte n’aura pas l’effet escompté. La ministre elle-même, en réponse à la question d’un autre député conservateur, a reconnu qu’ « en lui-même cet accord [n’allait] pas régler le problème ». « Vendu comme un grand pas en avant, ce texte n’est que le dernier en date d’une longue série d'accords conclus entre Londres et Paris. En ce sens, les critiques sont justifiées et compréhensibles » estime Simon Usherwood, professeur de l’Open University au nord de Londres, car il y a d’autres problèmes urgents à régler. « Ce qui est frappant, c'est que Suella Braverman a consacré beaucoup plus d’efforts à ce texte qu’à essayer de résoudre le problème de délai de traitement des demandes d'asile, qui semblent être le véritable goulot d'étranglement dans le système. Elle s’intéresse plus à ce qui est visible, à ce qui va plaire aux électeurs, qu’au fait d’avoir le meilleur impact possible sur les politiques publiques et les meilleurs résultats ».
La justice en question
Fervente apôtre du Brexit, Suella Braverman a dirigé en 2015 le groupe d’élus eurosceptiques ERG. Elle a fait partie des « hard brexiters » : sous-secrétaire d’État au Brexit début 2018, elle en a claqué la porte le 15 novembre à la publication du projet d’accord de retrait négocié par Theresa May. Aujourd’hui, elle souhaite que le Royaume-Uni quitte la Cour européenne des droits de l'Homme.
Diplômée en droit des universités de Cambridge et de la Sorbonne, la ministre conteste également le pouvoir des juges dans son propre pays. À l’instar de Boris Johnson, elle dénonce le processus de « judicial review », équivalent du contrôle juridictionnel assuré en France en dernière instance par le conseil d’État. Aurélien Antoine, professeur de Droit public à l’Université Jean Monnet Saint-Etienne, se souvient : « À l’époque où elle a commencé à monter, elle a soutenu un gouvernement qui a été très restrictif tant en matière de politique migratoire qu’en ce qui concerne les recours au juge - c'est-à-dire en ce qui concerne l’état de droit, tout simplement ». La nomination de Suella Braverman au poste de Procureur général par Boris Johnson en 2020 avait d’ailleurs fait polémique au sein de la justice. Selon Aurélien Antoine ce positionnement confirme une évolution du parti conservateur : il y a « cristallisation d'une extrême droite, d'une frange droite du parti conservateur depuis quelques années. Et Suella Braverman s’inscrit plutôt dans cette ligne-là, qui a clairement émergé à partir de 2016, même s'il y existait déjà bien sûr des éléments latents de cette orientation. »
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Ministre sous surveillance
Issue d’une famille d’origine indienne, Sue-Ellen pour l’état civil, s’est engagée en politique dès l’université. Elle s’est présentée pour la première fois devant les électeurs à 25 ans. Mais elle a essuyé plusieurs échecs avant d’être élue députée de Fareham, circonscription très conservatrice du sud de l’Angleterre en 2015 puis 2017. Outre son franc-parler, elle est connue pour sa persévérance, mais aussi pour un penchant opportuniste selon de nombreux analystes. « C’est vraiment un animal politique, estime Simon Usherwood, elle sait très bien que son poste d’attirer la lumière et de se faire un nom. "Law and Order", la loi et l’ordre, c’est un fondamental des conservateurs. Je ne suis pas sûr que ce soit une passion pour elle, mais pour l’instant ça lui est très utile. En réalité, elle donne l’impression d’avoir les yeux tournés vers le 10 Downing Street, et je pense qu’il est intéressant de considérer son action dans cette perspective ».
Pour autant, même si Suella Braverman ne manque pas de soutien à la droite du parti elle « n'est pas le premier choix des conservateurs » au poste de Premier ministre précise le chercheur. « Elle est aujourd’hui à un stade intermédiaire. C’est pourquoi le fait d’avoir une visibilité croissante est important pour elle. Cela l'aidera dans sa campagne lors du prochain défi pour la direction ». Mais d’ici là, la ministre de l’Intérieur devra aussi discipliner ses actes. Sa nomination par Rishi Sunak le 25 octobre dernier a surpris. Une semaine plus tôt, elle avait été obligée de quitter le précédent gouvernement pour violation des règles de sécurité ministérielles. Suella Braverman a reconnu avoir utilisé son adresse courriel personnelle pour envoyer des documents officiels à six reprises, dont un brouillon de déclaration ministérielle sur la politique migratoire.
À sa démission, la ministre avait accéléré la chute de Liz Truss en faisant part de ses « graves inquiétudes » sur la politique de la Première ministre. Que ce soit dans les rangs de l’opposition ou ceux de la majorité, les bruyants faits et gestes de Suella Braverman vont être suivis de près.
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