L’opposant russe Ilya Iachine, emprisonné pour avoir dénoncé des meurtres de civils
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Huit ans et demi de prison pour avoir critiqué la guerre en Ukraine : le jeune opposant russe Ilia Iachine a été condamné, la semaine dernière par un tribunal de Moscou pour avoir diffusé de « fausses informations ». Son procès en appel, dont l’issue ne fait guère de doute, ne devait pas se tenir avant les mois de janvier ou février, selon ses avocats. Portrait de l’un des derniers grands opposants au Kremlin.

À l’énoncé du verdict, il ne s’est pas départi de son sourire et a conservé son sens de l’humour. « Les gars, ne soyez pas contrariés, tout va bien. Si quelqu’un pense que Poutine va encore gouverner pendant huit ans, il est très optimiste », a lancé Ilya Iachine, en col roulé beige, menotté, dans sa cage de verre du tribunal moscovite, qui venait de la condamner à une lourde peine de prison. L’opposant était jugé pour avoir dénoncé, sur sa chaine YouTube, « le meurtre de civils » dans la ville ukrainienne de Boutcha, près de Kiev, où l’armée russe a été accusée d’exactions, ce que Moscou refuse de reconnaitre.
Ilya Iachine était poursuivi sur la base d’articles du Code pénal introduits peu après le début de l’offensive russe en Ukraine, qui punissent ceux qui « discréditent » l’armée russe ou « publient de fausses informations » sur ses agissements. Même privé de liberté depuis fin juin, il a continué de critiquer les autorités de façon acerbe et de dénoncer la guerre. Il a, à maintes reprises, expliquées son refus de fuir la Russie : « j’aime mon pays et je suis prêt à sacrifier ma liberté pour vivre ici [...]. Je suis un patriote », avait-il lancé lors de son procès. « Il a toujours considéré qu’en émigrant, il ne pourrait pas continuer à militer de manière efficace dans l’opposition. Il estimait qu’il fallait continuer à travailler uniquement en Russie, quel qu’en soit le prix payé », raconte Vladimir Milov, opposant en exil, ancien vice-ministre de l’Énergie. Ami avec Ilya Iachine depuis plus de quinze ans, il affirme avoir plus d’une fois débattu du sujet avec lui, « mais c’était son point de vue et il est digne de respect », conclut-il, une pointe de regret dans la voix. Le politologue indépendant, Dmitri Orechkine, qui s’est exilé à Riga, est tout aussi circonspect face à cette décision de rester en Russie envers et contre tous. « Ilya Iachine a échangé sa liberté contre environ un à deux mois d’intérêt public envers sa personne, ensuite, cet intérêt s’éteindra », soutient l’expert, citant le cas d’Alexei Navalny, condamné, lui aussi, à une lourde peine de prison. « De l’étranger, il aurait apporté plus de problèmes à la verticale du pouvoir de Poutine qu’emprisonné en Russie et je pense que ça aurait été aussi le cas pour Ilya Iachine », estime Dmitri Orechkine.
À 39 ans, l’opposant a déjà derrière lui une longue carrière politique. Actif depuis le tout début des années 2000 au sein du mouvement de jeunesse du parti d’opposition Iabloko de Grigori Iavlinsky, avant d’en être exclu en 2008, il a été le compagnon de route de Boris Nemtsov, assassiné en 2015. « Il a coopéré avec Grigori Iavlinsky, avec Alexei Navalny, avec Boris Nemtsov, mais il avait ses propres ambitions politiques et depuis au moins cinq ans, il avait pris son envol », explique Dmitri Orechkine. « Il a lancé son programme politique, il a remporté une élection et il avait depuis son propre électorat. J’ai le sentiment qu’il était un acteur politique indépendant ».
Élu municipal
En 2017, il parvient à se faire élire au conseil d’un quartier de Moscou. Deux ans plus tard, il vise un échelon plus haut, mais sa candidature au parlement local de Moscou est invalidée comme celle de 26 autres opposants, dont Vladimir Milov. Ce dernier se souvient de la campagne de parrainages préalable à l’enregistrement des candidats, organisée dans un lieu qui regroupait plusieurs de ces candidats au centre de Moscou : « les gens qui venaient apporter leurs parrainages étaient environ dix fois plus nombreux pour Ilya Iachine que pour les autres candidats. Il y avait une file d’attente impressionnante devant son bureau. Il était déjà devenu un homme politique très connu ». Pour l’opposant en exil, il ne fait aucun doute qu’Ilya Iachine aurait fait un concurrent sérieux pour le maire de la capitale Serguei Sobianine, s’il n’avait pas été écarté de l’élection municipale de 2018.
« C’est une personnalité très brillante, un homme de principe, honnête, un politicien né, qui sait parler aux gens. Il a un instinct politique très fort. Et je suis persuadé qu’il aura un grand avenir, qu’il finira par sortir de prison, et qu’il jouera un grand rôle dans l’histoire de la Russie. C’est quelqu’un qui n’a pas peur de toujours dire la vérité », raconte son collègue.
Ilya Iachine est aussi l’une des victimes préférées des médias pro-Kremlin, qui n’hésitent pas à s’attaquer à sa famille. Il se fait aussi piéger au lit avec deux femmes, mais la vidéo ne fait surface que dix ans plus tard, envoyée à la fiancée de l’opposant. « Discréditer un jeune homme de 24 ans parce qu’il est avec deux filles, même dans un pays aussi conservateur que le nôtre, c’est assez difficile, vous en conviendrez », avait dit Ilya Iachine dans une vidéo sur sa chaine YouTube consacrée à ce sujet, qu’il avait intitulée : « Les jeunes femmes du FSB : l’arme secrète de Poutine ». À cette même époque, l’opposant était tombé dans un guet-apens : lors d’un contrôle routier, il avait proposé de l’argent pour éviter une amende. La scène avait été filmée. D’autres personnalités avaient été piégées de la sorte, comme Dmitri Orechkine. « Il m’a appelé après cette affaire, il était très choqué », se souvient le politologue. « Il attendait du réconfort de ma part, il était encore très jeune. Il trouvait que c’était répugnant de recourir à de telles méthodes ». Plus d’une décennie après ces affaires, le jeune politicien a bien mûri : « désormais, il a la peau aussi dure que celle d’un rhinocéros. Son avocate a dit qu’elle n’avait jamais rencontré de prévenu aussi calme qui savait parfaitement comment tout cela allait se terminer. Il avait réfléchi à tout et il avait conscience de ce qui l’attendait », raconte Dmitri Orechkine.
Soigner ses caries avant la prison
L’opposant qui critiquait ouvertement la guerre menée par la Russie en Ukraine, savait qu’il risquait gros. Mais, en homme sérieux et prévoyant, il se préparait à la prison, moralement et physiquement, comme il l’a raconté, en juin, sur la chaine du journaliste et blogueur populaire Iouri Doud quelques jours avant son arrestation : « dès que les premiers missiles ont été envoyés sur l’Ukraine, je suis allé chez le dentiste et j’ai fait réparer toute ma mâchoire, je me suis fait soigner des caries, on m’a mis des plombages, parce que je savais qu’en prison, personne ne me soignerait les dents », raconte Ilya Iachine.
Dans un message publié cette semaine sur Facebook, l’opposant s’adresse à ses soutiens : « ils voulaient m’écraser moralement avec un jugement féroce. Ils ont fait un calcul : je ne me suis jamais senti aussi fort qu’aujourd’hui. Et je n’ai jamais été aussi sûr que tout finira pas aller bien », écrit-il, appelant ses amis à « garder la foi en un avenir meilleur ».
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