Mikheïl Saakachvili, un ancien président derrière les barreaux
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Selon ses partisans, son état de santé est critique, mais il va malgré tout rester derrière les barreaux : l’ancien président géorgien Mikheïl Saakachvili n’a pas obtenu la remise en liberté provisoire réclamée par ses avocats. Il va donc continuer à purger sa peine et en appelle à la communauté internationale, estimant que sa vie est désormais en danger.
Ses partisans laissent éclater leur colère en cette soirée du 6 février, à l’issue d’une audience défavorable à l’ancien président géorgien. Mikheïl Saakachvili devra continuer à purger sa peine malgré un état de santé de plus en plus critique. Pour la justice géorgienne et pour le pouvoir en place, rien ne saurait justifier la remise en liberté de l’ancien président, accusé de simuler ou d’exagérer ses ennuis de santé pour échapper à sa peine : six ans de prison pour « abus de pouvoir ». Pourtant, tous ceux qui ont pu l’approcher ces derniers mois sont formels : l’état de santé de Mikheïl Saakachvili s’est brutalement détérioré. C’est ce qu’a raconté à RFI Khatia Dekanoïdze, une députée de l’opposition qui a été autorisée à rendre visite à l’ancien président.
« C’était un choc de le voir comme ça… Vous savez il peut à peine bouger, il marche avec un déambulateur, et il a perdu beaucoup de poids. Auparavant il était plein d’énergie, c’était une personne charismatique et maintenant c’est tout le contraire. C’est un homme détruit, torturé physiquement et psychologiquement. Donc oui c’est difficile de le voir dans cet état. »
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Une forme de revanche personnelle
Pour cette députée, ancienne ministre de Mikheïl Saakachvili, il y a un acharnement politique et judiciaire à l’encontre l’ancien président géorgien. Et derrière cet acharnement, il y a un homme : Bidzina Ivanichvili. Un milliardaire dont la fortune a été faite en Russie dans les années 1990 et qui dirige en coulisses la Géorgie depuis une décennie. « Il considère Mikheïl Saakachvili comme un ennemi personnel et donc c’est une sorte de vengeance à son égard, dénonce la députée du Mouvement national uni, le parti fondé au début des années 2000 par l’ancien président. « Pour Bidzina Inachvili, c’est aussi une façon de montrer qu’il est tout-puissant, qu’il fait ce qu’il veut. Et puis c’est comme ça que le parti au pouvoir traite l’opposition. Ils déshumanisent tous ceux qui sont pro-occidentaux ou qui sont critiques vis-à-vis du gouvernement. »
Autre explication avancée par les partisans de l’homme qui fut le héros de la « Révolution des Roses » en 2003, la haine éprouvée à son encontre par Vladimir Poutine, le président russe. « Quand il y a eu la guerre entre la Russie et la Géorgie, en 2008, pointe Khatia Dekanoïdze, Poutine a dit à Condoleezza Rice, qui était la secrétaire d’État américaine à l’époque, qu’il voulait punir Saakachvili. » Son tort ? Avoir été le fer de lance de la première « révolution de couleur » dans l’espace post-soviétique, et s’être résolument tourné vers le camp occidental. Maintenir Saakachvili en prison, malgré le risque encouru par l’ancien président, serait donc une forme de service rendu au Kremlin par l’actuel pouvoir géorgien, soucieux de ménager la susceptibilité du voisin russe.
Erreur de calcul
Le calvaire de Mikheïl Saakachvili commence à l’automne 2021. Lassé de son exil en Ukraine, l’ancien président est persuadé qu’il lui suffit de rentrer dans son pays pour renverser le pouvoir. Mais ce coup de poker tourne au fiasco : les manifestations ne prennent pas l’ampleur espérée, et Saakachvili est très vite arrêté. « Il a cru en revenant en Géorgie que ses partisans allaient l'emporter et il s'est trompé lourdement », analyse le géographe Jean Radvanyi, professeur émérite à l’Inalco, l’Institut national des langues et civilisations orientales*. « Il s’est trompé à double titre : d’abord parce que ses partisans ne représentent pas une majorité suffisante pour imposer un changement politique en Géorgie et ensuite parce que lui-même suscite toujours un mécontentement profond en Géorgie. »
Une erreur de calcul et un malentendu qui proviennent du bilan pour le moins contrasté de sa décennie au pouvoir. Arrivé à la présidence en 2004, dans la foulée de la « Révolution des Roses » qui vit la chute d’Édouard Chevardnadze, alors qu’il était âgé de 36 ans, Mikheïl Saakachvili s’est d’abord attaqué avec succès à la corruption endémique qui sévissait en Géorgie. « Il a pratiquement réussi à éliminer la petite corruption, note Jean Radvanyi, la corruption de la vie quotidienne, des démarches administratives, de la police, etc… Et ça a été une base de son succès pour sa réélection, dès le premier tour en 2008. Et puis, ensuite, il y a eu le désastre de la guerre contre la Russie et une dérive autoritaire avec un mélange de corruption, de clanisme, de violence. Si bien qu’à la crise politique suivante, il a perdu les élections et il a dû s'exiler. »
Une seconde Biélorussie ?
Aujourd’hui, Mikheïl Saakachvili est un homme affaibli, physiquement et politiquement. Ses alliés occidentaux sont trop occupés par l’Ukraine pour lui accorder le soutien dont il aurait besoin. Et dans la rue, ses partisans ne parviennent pas à imposer le rapport de force qui leur permettrait d’obtenir la libération du « héros déchu » de la « Révolution des Roses ». Lui affirme avoir été empoisonné et qu’il risque de perdre la vie s’il reste en prison. « Comme je suis en train de mourir, je n’ai pas beaucoup de temps, écrit-il dans une lettre publiée par le quotidien Le Monde le 31 janvier 2023. La France peut encore empêcher la Géorgie de devenir une seconde Biélorussie », écrit l’ancien président, qui demande à Emmanuel Macron de faire pression sur les autorités du pays pour obtenir sa libération.
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*auteur de Russie, un vertige de puissance à paraître le 23 février 2023 aux Éditions La Découverte
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