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Ukraine: Roustem Oumerov, un «incorruptible» au ministère de la Défense

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Il a promis de récupérer « chaque centimètre » de la terre ukrainienne. Nommé par Volodymyr Zelensky, Roustem Oumerov a remplacé cette semaine Oleksiy Reznikov à la tête du ministère de la Défense. Originaire de Crimée, fin négociateur, réputé « incorruptible », il aura pour tâche principale de redorer le blason d’un ministère miné par les scandales de corruption.

Roustem Oumerov, ministre de la Défense ukrainien, le 3 septembre 2033 à Kiev.
Roustem Oumerov, ministre de la Défense ukrainien, le 3 septembre 2033 à Kiev. © Efrem Lukatsky / AP
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Surfacturation massive de produits alimentaires destinés à l’armée, pots-de-vin, prix gonflés pour l’achat d'uniformes auprès d’une société turque appartenant au neveu d'un député ukrainien : Roustem Oumerov prend la tête d’un ministère qui nécessite un grand ménage. « Il jouit d'une très bonne réputation », souligne le politologue ukrainien Volodymyr Fessenko. « Il n'est en conflit avec personne et n'est éclaboussé par aucun scandale ».

Sa nomination a été approuvée jusque dans les cercles de la société civile peu tendres avec le pouvoir. « J’ai le sentiment que notre défense et notre sécurité sont entre de bonnes mains », commente Daria Kaleniuk, à la tête du Centre d’action anticorruption AntAC à Kiev, qui confie que de tous les officiels ukrainiens avec lesquels elle a pu échanger au sujet de la guerre, Roustem Oumerov est celui qui l’a « le plus impressionnée ».   

Député du parti libéral d’opposition Holos entre 2019 et 2022, le nouveau ministre de la Défense a été à la tête de la commission parlementaire chargée de contrôler les livraisons d’armes occidentales. Il s’y est forgé une réputation de militant anti-corruption qu’il a consolidée en tant que directeur du Fonds des biens d’État, le principal fonds de privatisation du pays. Durant l’année écoulée, « Roustem Oumerov a licencié de nombreuses personnes et il a lancé un audit approfondi », note Daria Kaleniuk, qui affirme avoir suivi de près son action. « Il a une vision stratégique, il sait ce dont l'Ukraine a besoin pour gagner la guerre et il comprend clairement qu'il lui faudra faire beaucoup de ménage au sein du ministère ».

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Négociateur talentueux

Avant de se lancer en politique, le nouveau ministre de la Défense a fait carrière, à partir de 2004, dans l’industrie des télécommunications. Il a créé la société d'investissement ASTEM Technologies. Avec sa fondation caritative, qui soutient un programme de l'université de Stanford, conçu pour former des dirigeants, des avocats ou des hommes d’affaires ukrainiens, Roustem Oumerov a tissé des liens aux États-Unis. 

Le nouveau ministre de la Défense s’est fixé cinq priorités, parmi lesquelles le renforcement et l’élargissement de la coalition internationale, avec la recherche de nouveaux alliés, la lutte contre la corruption et le développement de l’industrie militaire ukrainienne.  

Parlant couramment l’ukrainien, le russe, l’anglais, le turc et le tatar, il est aussi décrit comme un fin négociateur. Discussions avec la partie russe en mars 2022 en Turquie, préparation de l’accord céréalier ou encore négociations qui ont abouti à des échanges de prisonniers de guerre : le rôle de Roustem Oumerov est souligné. « Il a de très bonnes relations avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan qu'il connaît personnellement. Il a aussi apparemment de bons contacts avec les dirigeants de l'Arabie saoudite », souligne Volodymyr Fessenko. Le ministre de la Défense aurait ses entrées auprès du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salman. Il a accompagné Volodymyr Zelensky en mai en Arabie saoudite et a pris part aux négociations de paix de Jedda, les 5 et 6 août.

Tatars de Crimée

Agé de 41 ans, musulman, Roustem Oumerov est né en Ouzbékistan soviétique, dans une famille de Tatars de Crimée déportée de la péninsule sur ordre de Staline. Diplômé de l'internat pour enfants surdoués du ministère de l'Éducation et de la Science de Crimée, il a, plus tard, travaillé pendant de nombreuses années au côté de Mustafa Djemilev, le chef historique des Tatars de Crimée. « Nous ne renoncerons ni à notre peuple ni à notre terre », disait-il en mai 2022.

La nomination au ministère de la Défense d’un membre issu de cette communauté est un signal fort envoyé à tous ceux souhaiteraient pousser l’Ukraine à faire des compromis sur la question de la péninsule annexée par la Russie en 2014. Elle envoie le message que « le retour de la Crimée reste pour notre pays l’une des priorités », note Voldymyr Fessenko. « Il sera difficile, pour des hommes politiques ou des ministres d'autres pays, d'expliquer à ce ministre de la Défense de l'Ukraine, issu de la communauté tatare réprimée par la Russie, que vouloir reprendre la Crimée serait le signe d'une escalade », analyse Darya Kaleniuk.

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