Fréquence Asie

Mayyu Ali, poète Rohingya: «Écrire est pour moi un acte de résistance»

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La guerre en Ukraine a relégué au second plan d’autres crises comme le terrible sort de la minorité musulmane des Rohingyas. En août prochain, cette communauté apatride commémorera la sixième année de son exode massif de Birmanie. Près d’un million de Rohingyas vivent, depuis, dans une prison à ciel ouvert, des camps tentaculaires et insalubres au sud du Bangladesh. Mayyu Ali, originaire de l’État de Rakhine, rescapé des massacres de 2017 et victime de persécution dans les camps de réfugiés au Bangladesh, a pu finalement s’exiler au Canada. Ce poète, écrivain et militant nous livre son histoire qui est aussi celle de son peuple.

Mayyu Ali est le coauteur avec la journaliste Emilie Lopes de «L’Effacement».
Mayyu Ali est le coauteur avec la journaliste Emilie Lopes de «L’Effacement». © Éditions Grasset
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Mayyu Ali a été le témoin des pires violences et injustices contre sa famille et sa communauté, une minorité musulmane parmi les plus opprimées au monde. Il est né en 1991 à Maungdaw dans l’État de Rakhine à l’ouest de la Birmanie. En août 2017, la junte militaire mène une politique de la terre brûlée qui forcera plus de 700 000 personnes à l’exil.

« À l’époque, je vivais dans le centre-ville de Maungdaw, mes parents étaient dans notre village », raconte Mayyu Ali. « J’ai reçu un appel de ma mère en pleurs. Elle me disait que notre maison et tout le village avaient été brûlés et qu’ils ont dû fuir dans un village voisin. Ensuite, les forces de sécurité sont arrivées à Maungdaw. Elles ont commencé à incendier les maisons, à tuer de manière indiscriminée, hommes, femmes, enfants et personnes âgées. »

Mayyu Ali décide de suivre ses parents qui ont finalement dû fuir de l’autre côté de la frontière, à Kutupalong, au Bangladesh.

« En prenant la fuite, j’ai vu un père Rohingya et sa petite fille abattus en pleine rue, leurs corps gisaient sur le sol », se souvient-il. « J’ai réussi à me frayer un chemin jusqu’au bois, puis le 6 septembre au soir, avec 14 autres personnes dont de nombreuses femmes et enfants, on est monté à bord d’un canot à rames, une toute petite embarcation. Pendant la traversée, il y avait beaucoup de vent, il faisait nuit noire. On a réussi à rejoindre l’autre rive le lendemain. Et j’ai pu retrouver mes parents dans le camp de réfugiés de Kutupalong. »

Le camp de réfugiés Rohingyas de Kutupalong, au Bengladesh.
Le camp de réfugiés Rohingyas de Kutupalong, au Bengladesh. © AP Photo/Altaf Qadri

L'écriture, entre exutoire et acte de rébellion pour Mayyu

Il y restera 4 ans. Le camp est surchargé. Il y règne un climat de peur et d’insécurité. Viols, trafics, meurtres, enlèvements. Mayyu travaille avec des ONG, des journalistes, son activisme dérange.

« J’ai été la cible de groupes de militants, car je dénonçais des violations des droits humains, j’écrivais aussi et j’enseignais l’écriture aux jeunes réfugiés et comment défendre leurs droits. J’ai dû partir et je me suis longtemps caché dans la région pour échapper aux gangs qui étaient à mes trousses. Jusqu’à ce que, deux ans plus tard, j’obtienne un visa pour émigrer au Canada depuis 2021, avec mon épouse, en Ontario. »

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L’écriture est pour Mayyu un exutoire, un acte de rébellion aussi. À l’heure où, faute de dons suffisants, les rations alimentaires des réfugiés ont été réduites et où la région a été récemment durement frappée par un cyclone, Mayyu continue de témoigner, sans relâche, pour aider sa communauté, pour qu’elle ne soit pas oubliée.

« Même avant les violences de 2012, nous subissions des restrictions et la discrimination. Je n’ai connu que ça, quasiment toute ma vie, des violences, des meurtres, des arrestations. Cela m’a poussé à écrire, car les médias étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans l’État de Rakhine, le monde ignore ce que vit ma communauté. Écrire permet d’informer la communauté internationale pour qu’elle nous aide à juger les responsables afin qu’ils répondent de leurs crimes. C’est devenu pour moi un acte de résistance », affirme Mayyu Ali.

Des réfugiés Rohingyas circulent à Cox's Bazar, au Bengladesh. Près d’un million de Rohingyas vivent dans des camps tentaculaires et insalubres au sud du Bangladesh.
Des réfugiés Rohingyas circulent à Cox's Bazar, au Bengladesh. Près d’un million de Rohingyas vivent dans des camps tentaculaires et insalubres au sud du Bangladesh. © AP Photo/Shafiqur Rahman

« Je continuerai à élever la voix pour mon peuple »

Puis il poursuit : « Aujourd’hui, je suis libre ici au Canada pour la première fois de ma vie. Mais je ne pourrai pas jouir de cette liberté, tant que mes frères et sœurs vivront dans les camps de réfugiés à Cox’s Bazar ou dans des camps de déplacés internes dans l’État de Rakhine où ils risquent d’être massacrés par la junte birmane. Nous sommes les rescapés d’un génocide. Je continuerai à élever la voix pour mon peuple ».

Mayyu Ali appelle la France et les autres pays européens à se joindre à la plainte de la Gambie contre la Birmanie, pour génocide contre les Rohingyas, devant la Cour Internationale de Justice. Pendant ce temps, sur le terrain, rien n’a changé. Les Rohingyas continuent de vivre dans la peur et l’insécurité, privés de droits, de liberté de mouvement et de citoyenneté.

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