Un rapport accablant : celui d'Amnesty International, qui accuse Meta, la maison mère de Facebook, d'avoir alimenté la haine des Rohingyas à travers des contenus haineux propagés par algorithmes et sans aucune remise en cause de son modèle commercial. Le réseau social le plus populaire au monde est désigné comme co-responsable des persécutions infligées à la minorité musulmane de Birmanie.

À partir de 2012, le sentiment anti-Rohingya s'envole en Birmanie. Les violences intercommunautaires explosent et les messages de haine affluent sur les réseaux sociaux. Certaines publications deviennent virales, comme ce texte signé d'un météorologue birman très populaire. Il exhorte ses compatriotes à la résistance envers « l'ennemi commun », les musulmans, qu'il ne faut pas, dit-il, laisser envahir la Birmanie. Ce brûlot sera partagé plus de 10 000 fois, recueillera 47 000 réactions et 830 commentaires, dont des appels purs et simples au meurtre et à l'éradication des Rohingyas, qui resteront en ligne pendant des années.
En 2018, le Sénat américain convoque Mark Zuckerberg, le patron de Facebook. Le sénateur démocrate Patrick Leahy l'interroge au sujet de la Birmanie et lui demande, les yeux dans les yeux, pourquoi il est incapable de faire supprimer ces contenus dans les 24 heures. « Nous sommes en train de recruter des dizaines de modérateurs de langue birmane, car les discours haineux sont étroitement liés à la question linguistique. Il est très difficile de les éradiquer sans ressources humaines capables de parler les dialectes locaux. Et nous devons faire un effort considérable dans ce domaine », reconnaît le patron du groupe Meta.
À l'époque de cette déclaration, des centaines de milliers de Rohingyas ont déjà été forcés de fuir la Birmanie. Facebook ne compte que cinq employés comprenant le birman pour un total de 18 millions d'utilisateurs dans le pays, ridiculement peu face aux enjeux de la crise interethnique. Et beaucoup trop tard. Amnesty rapporte les témoignages de militants de la société civile ou d'employés de l'ONU qui se sont tournés en vain vers la page d'alerte du réseau social, qui permet de signaler les menaces de mort ou les incitations à la haine raciale. Deux hypothèses peuvent être émises. Premièrement, la négligence : Facebook, dépassé par les événements, n'a pas su agir face à la masse d'ignominies qui s'abattaient sur les Rohingyas. La deuxième, la complicité : car les algorithmes de Facebook qui promeuvent les contenus les plus lus ne distinguent pas ce qui relève de la violence.
Les algorithmes de Facebook favorisent les « discours incendiaires » et les « contenus les plus dangereux »
C'est loin d'être un hasard, d'après le principal auteur de ce rapport, Patrick de Brún, d'Amnesty International :
Les documents que la lanceuse d'alerte Frances Haugen a mis sur la place publique montrent de quelle manière fonctionnent ces algorithmes. On sait maintenant que les principaux algorithmes, ceux qui régissent le fil d'actualité, les recommandations ou le classement des publications sont élaborés pour que nous passions le plus de temps possible sur Facebook. Or, toutes les études convergent : ce processus donne la priorité aux discours incendiaires et aux contenus les plus dangereux. Mais il s'avère qu'en parallèle, ce modèle a prouvé qu'il était incroyablement profitable pour le groupe Meta. À tel point que même lorsque Meta a pris conscience des risques engendrés par ce système, cette société n'a rien fait pour modifier ses algorithmes ou changer son modèle économique.
Aujourd'hui, Meta fait l'objet d'une batterie de poursuites devant la justice internationale. Deux plaintes ont été déposées des deux côtés de l'Atlantique : aux États-Unis et au Royaume-Uni par des membres de la communauté rohingya, qui s'estiment victimes de la campagne de violence relayée par Facebook. Ils réclament à la société de Mark Zuckerberg la somme de 150 milliards de dollars sous forme de dommages et intérêts. Quant aux déplacés qui survivent dans les camps de réfugiés au Bangladesh, ils ont formé une vingtaine d'associations et demandent à Meta de financer leur scolarité, afin de faire respecter leur droit fondamental à l'éducation. Facebook doit payer pour ses manquements, martèle Amnesty International, et réformer ses pratiques pour éviter de nouvelles dérives.
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