Grand reportage

Indigènes d’Amazonie, les laissés pour compte du système de santé

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Plus vulnérables aux maladies venant des villes et vivant dans des zones où l’accès est difficile, les indigènes d’Amazonie sont des populations dont la santé est particulièrement fragile. Aujourd’hui encore, ils sont victimes du paludisme, de maladies sexuellement transmissibles, et du Covid-19. Même s’il existe un secrétariat spécialisé en santé indigène, ils n’ont accès qu’aux soins de base. Des dentistes aux ophtalmologues, depuis 2015, l’ONG « Doutores da Amazônia », « Docteurs d’Amazonie », amène des médecins spécialistes au cœur des territoires indigènes. Immersion dans le parc indigène du Xingu, le plus grand territoire indigène du pays. 

Une femme du village indigène Waura en consultation avec une médecin de l'ONG « Doutores da Amazonia » (docteurs d'Amazonie)
Une femme du village indigène Waura en consultation avec une médecin de l'ONG « Doutores da Amazonia » (docteurs d'Amazonie) © Sarah Cozzolino / RFI
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« Indigènes d’Amazonie, les laissés pour compte du système de santé », un Grand reportage de Sarah Cozzolino. Réalisation : Pauline Leduc.

 

Caio Machado, président et co-fondateur de l’ONG « Doutores da Amazônia », est chirurgien dentiste à São Paulo. En 2015, il a créé avec son frère l’ONG Docteurs d’Amazonie pour venir en aide aux peuples indigènes, délaissés par le système de santé public. Il répond aux questions de notre correspondante Sarah Cozzolino.

Caio Machado, co-fondateur de l'ONG «Docteurs d'Amazonie», qui vient en aide aux populations indigènes isolées.
Caio Machado, co-fondateur de l'ONG «Docteurs d'Amazonie», qui vient en aide aux populations indigènes isolées. © Sarah Cozzolino / RFI

RFI : Comment les indigènes d’Amazonie ont-ils vécu la pandémie de Covid-19 ?

Caio Machado : Ils ont été très touchés par la pandémie, et notamment parce que leur culture a été un accélérateur de contagion. Leur mode de vie en communauté, dans les grandes « malocas », les maisons traditionnelles, ne leur permettaient pas de respecter les gestes barrières recommandés, comme le port du masque ou la quarantaine. Les rituels funèbres, par exemple, sont très importants dans leur culture, et il a été impossible de les empêcher de les réaliser. Au début de la pandémie, les médecins n’entraient plus en territoire indigène. Ça a été le moment pour ces peuples de remettre à l’honneur leurs médecins traditionnels, notamment avec la figure du « pagé », ce chaman qui communique avec les esprits. La médecine traditionnelle est très forte dans ces régions, elle passe avant la médecine occidentale. Pour des raisons de culture mais aussi de communication : les médecins traditionnels font partie des villages indigènes, ils parlent la même langue que leurs patients. Les médecins « classiques » sont des Blancs qui ont étudié en ville et ne comprennent pas les langues indigènes. 

Nous avons été la première ONG à pouvoir entrer en territoire indigène. En 2020, nous avons fait une expédition dans l’État de Rondônia sur les rivières Guaporé et Mamoré, avec un bateau-hôpital, pour venir en aide aux peuples isolés d’Amazonie. Dans cette région, on compte près de 10 000 indigènes. Parmi ceux que nous avons pu tester, 80% étaient contaminés. C’est là que j’ai été contaminé par le Covid-19 pour la première fois. Pourtant, seulement deux personnes sont mortes. Selon eux, c’est grâce aux effets d’un thé à base de racines qu’ils prenaient, confectionné par les médecins traditionnels de la région. S’il y a eu un impact positif de cette pandémie, c’est d’avoir redonné de l’importance à ces savoirs ancestraux.

Quel est l’état de santé général des indigènes dans ces régions isolées, comme le parc du Xingu ?

Ils manquent de tout. Dans ces régions, le secrétariat spécial à la santé indigène (SESAI), a implanté depuis 1999 des « districts » de santé, censés fournir des soins de « base » à ces populations. Leur champ d’action est très rudimentaire : c’est surtout de la prévention, de l’orientation et quelques examens très basiques. Dans 90% des cas, les indigènes devraient se déplacer en ville, parce que les équipements nécessaires n’arrivent pas jusqu’ici. Mais la difficulté principale, c’est justement le déplacement. Dans le Xingu, pour pouvoir faire des opérations dites de « moyenne et haute complexité », ou des examens approfondis, il faut faire douze heures de route en moyenne, avec des moyens de transport très précaires. Il faut ensuite pouvoir se nourrir et se loger en ville, c’est très compliqué.

Pourtant, les équipements, qui pesaient autrefois des tonnes sont aujourd’hui disponibles en formats réduits. Ils pèsent entre 20 et 30 kilos. Notre ONG parvient à amener ces technologies de pointe dans ces territoires lors de nos missions. On aimerait montrer aux pouvoirs publics que cette situation doit changer, des investissements doivent être faits.

Comment expliquer ces lacunes ?

Ces populations indigènes sont mises de côté depuis très longtemps, elles sont extrêmement abandonnées par les pouvoirs publics. Il y a d’abord une mauvaise gestion. Pourquoi est-ce que l’argent des déplacements que doivent faire ces indigènes pour accéder à des services en ville n’est pas investi dans des équipements de bonne qualité sur place, des professionnels de santé qualifiés et payés dignement ? Pourquoi l’État ne fait pas ce travail ? Je pense que la réponse est politique.

Les gestionnaires de ces institutions ne sont pas des professionnels de santé et ne comprennent pas la responsabilité de la santé. Au Brésil, les indigènes n’ont jamais été une priorité pour personne car ils sont trop peu pour élire qui que ce soit. On parle de 850 000 indigènes pour 210 millions de Brésiliens : pour les politiciens, ils ne méritent pas les investissements nécessaires. Lors de nos actions, pour ce que nous ne pouvons pas résoudre, nous sommes obligés de leur prescrire des ordonnances, mais ça ne sert à rien. Nous devons créer des solutions durables pour ces régions.

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