Pour la sixième fois de son histoire, Duralex s’est retrouvée en 2024 en redressement judiciaire. Cette fois-ci, les salariés eux-mêmes ont proposé de reprendre l’entreprise, sous la forme d’une Scop, une coopérative. Les 226 emplois ont été conservés. La mutation de l'entreprise est toutefois un défi économique, dans une France qui peine à faire face à la désindustrialisation. RFI a suivi les salariés de la Scop Duralex pendant près de six mois. (Rediffusion)

« Les verres Duralex rebondissent en coopérative », un Grand reportage de Justine Fontaine, réalisé par Pauline Leduc.
Thibault Mirabel, docteur en économie, vice-président de Capital Collectif (Institut de recherche et de formation dédié à l’actionnariat salarié en France) est l’auteur d’une thèse sur les coopératives (Performance et rareté des coopératives de travailleurs, Université Paris-Nanterre, 2022). Le cas de Duralex – une entreprise industrielle en difficulté - fait plutôt figure d’exception dans le paysage des coopératives en France, où les petites entreprises de services à haute valeur ajoutée prédominent, explique-t-il. Néanmoins, les recherches disponibles montrent que les Scop (Sociétés coopératives de production) sont généralement aussi performantes ou plus performantes que des entreprises classiques. Entretien.
RFI : Les coopératives représentent un peu moins de 5% de l’emploi salarié en France mais sont de plus en plus nombreuses. Réussissent-elles mieux que des entreprises classiques ?
Thibault Mirabel : La Confédération générale des Scop communique beaucoup sur le taux de pérennité de 5 ans [le nombre d’entreprises encore en activité 5 ans après leur création], qui est très bon : 79% pour une Scop contre 61% pour l’ensemble des entreprises françaises. C’est un écart conséquent. Néanmoins, quand on compare ces deux chiffres on ne compare pas la même chose. Il existe peu de Scop en France et elles font face à d’importantes barrières à l’entrée (manque d’informations, difficultés à lever des capitaux) : les Scop qui parviennent à voir le jour malgré ces barrières ont un business model solide et ont plus d’atouts que les entreprises conventionnelles, car la présélection est plus forte du côté des Scop. Néanmoins, si on analyse la situation toutes choses égales par ailleurs comme je l’ai fait dans des travaux qui sont en cours de publication, c'est-à-dire si on prend des entreprises conventionnelles avec les mêmes caractéristiques au moment de leur création que les Scop, le taux de pérennité moyen est le même. [...] Dans l'ensemble, les études sur la performance comparée des Scop par rapport à d’autres entreprises montrent qu’être une Scop n’est pas un désavantage. Elles ne font pas moins bien que les autres, malgré le fait qu’elles aient une gouvernance différente et qu’elles ne puissent pas attirer beaucoup de capitaux. De plus, une étude très intéressante montre que si les entreprises capitalistes produisaient de la même manière [avec le même modèle de production, NDLR] que les Scop, elles seraient plus productives.
Les coopératives sont donc au moins aussi performantes que les entreprises conventionnelles. Néanmoins vous soulignez qu’elles ont plus de difficultés à lever des fonds et à obtenir la confiance des banques. Comment l’expliquer ?
Si on prend l’exemple d’une entreprise classique, qui parviendrait à lever beaucoup de capitaux auprès d’investisseurs extérieurs, il est plus facile ensuite de convaincre les banques. Ces levées de capitaux sont un signal positif pour les banques, qui peuvent se dire : « des gens ont mis leur argent en jeu dans cette entreprise, ils ont déjà fait une évaluation, ce qui indique qu’on peut faire confiance à l’entreprise ». En revanche, si votre entreprise [Scop ou non, NDLR] n’a aucun investisseur extérieur, c’est un signal plutôt négatif pour les banques. La question cruciale est : pourquoi les Scop ne parviennent-elles pas à avoir d’investisseurs extérieurs ? Car cela n’a aucun intérêt pour eux d’investir dans une Scop, où le pouvoir de décision est décorrélé de l’apport en capital. C’est une gouvernance démocratique : 1 membre = 1 voix. Si quelqu’un a investi 1 000€ et l’autre 10 000€, tous les deux auront le même pouvoir. En tant qu’investisseur extérieur, il n'est pas intéressant d'apporter beaucoup plus que les autres sans avoir plus de pouvoir de décision.
Et sans avoir plus de dividendes...
Ils en touchent même beaucoup moins. Il ne s’agit pas de dividendes à proprement parler, plutôt d’intérêts, dont la rentabilité ne dépasse pas celle des obligations d’État à dix ans.
Les coopératives réagissent-elles différemment face aux crises ?
En période de récession économique par exemple, elles ont tendance à baisser les salaires sans licencier de salariés. Alors que les entreprises traditionnelles, face à un choc négatif, vont avoir tendance à licencier des gens tout en gardant au même niveau les salaires des employés qui restent.
Le cas de Duralex, une entreprise industrielle en difficulté reprise par ses salariés, est-il emblématique des Scop en France ?
Duralex est une exception. Il y a de moins en moins de reprises en Scop d’entreprises en difficulté : ce cas de figure représente moins de 8% des créations de Scop. Il y a davantage de reprises en Scop d’entreprises saines que d’entreprises en difficultés. Enfin, près de 60% des coopératives sont créées ex nihilo.
La situation des Scop en France est-elle comparable à d’autres pays, en Espagne ou en Italie par exemple, où les coopératives sont nombreuses ?
Il y a effectivement beaucoup plus de coopératives en Espagne et en Italie. Par exemple, chaque année, plus de coopératives de travailleurs sont créées en Italie qu’il n’en existe en France. En Espagne, l’ordre de grandeur est comparable. Cet écart peut s'expliquer par d’importantes différences institutionnelles entre ces pays, par exemple la place du monde associatif en France : un certain nombre d’associations françaises auraient probablement pu être créées sous forme de coopératives si le modèle associatif n’était pas si développé ici. Les associations incarnent aussi des principes coopératifs : ce n’est pas parce que la France a moins de coopératives que ses voisins qu’il y a nécessairement moins de coopération.
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