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Crise Fécafoot/ministère des Sports: «Compliqué pour les joueurs, les principaux concernés, de prendre position»

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À chaque jour son rebondissement dans le bras de fer qui oppose, au Cameroun, la Fécafoot et le ministère des Sports. Ce jeudi 30 mai, Martin Ndtoungou Mpile, le sélectionneur intérimaire nommé par le patron de la fédération, Samuel Eto’o, après qu’il a limogé le Belge Marc Brys, a présenté sa démission. Comment expliquer cette crise sans précédent ? Éléments de réponse avec le journaliste Frank Simon, spécialiste du football africain et consultant de Radio foot internationale.

Samuel Eto'o (au centre) dans les tribunes lors de la CAN 2024. (image d'illustration).
Samuel Eto'o (au centre) dans les tribunes lors de la CAN 2024. (image d'illustration). © KENZO TRIBOUILLARD / AFP
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RFI : Dernier rebondissement en date, l’annonce, tout à l’heure, de la démission de Martin Ndtoungou Mpile, qui avait été nommé avant-hier sélectionneur intérimaire des Lions indomptables par Samuel Eto’o. Notre correspondant à Yaoundé nous annonçait dans le journal que Marc Brys, Samuel Eto’o et le ministre des Sports, avaient rendez-vous cette après-midi chez le Premier ministre. Comment analysez-vous ces derniers rebondissements ?

Frank Simon : Effectivement, il s’agit presque d’une téléréalité à laquelle on est en train d’assister depuis quelques semaines. Plus particulièrement, ces derniers jours. Cette réunion à la Primature, je pense qu’elle est la bienvenue pour clarifier une situation où l’on a l’impression de patauger dans des marais saumâtres… On a assisté à des prises de bec entre dirigeants, entre le garant du football camerounais, qui est Samuel Eto’o Fils, la légende du football camerounais désormais président de la Fécafoot, et puis l’autorité de tutelle. On a été très surpris de cette montée de ton. Du vocabulaire qui a pu être également utilisé... On a senti énormément de tensions. On a bien compris, aussi, qu’il s’agit avant tout d’un conflit politique, ce n’est pas du sportif dont il s’agit, pour paraphraser Rigobert Song Bahanag, l’ancien sélectionneur. Cela appelle à trouver une solution assez rapide avec les échéances qui sont très proches pour les Lions indomptables.

On reviendra tout à l’heure sur les racines profondes de ce conflit. On n’y voit pas encore tout à fait clair et je ne sais pas si on n’y verra plus clair cette après-midi. Mais on a eu, au moins pendant deux jours, deux sélectionneurs : l’un, nommé par le ministère des Sports, l’autre, par la Fédération. Est-ce que l’on a déjà vu cela ailleurs ?

Il me semble qu’il y a déjà eu le cas, il y a une petite vingtaine d’années, du côté du Bénin. C’était arrivé. C’est arrivé dans des clubs – là, on ne parle pas de sélectionneur. Mais en club, oui, il est arrivé qu’il y ait confrontation entre deux têtes pensantes, deux présidents qui s’opposaient. C’est arrivé dans plusieurs pays africains. En Côte d’Ivoire, dans l'un des plus grands clubs du pays, l’Africa Sports National, qui est actuellement en Division 2.

Mais au niveau des fédérations, c’est plus rare ?

Pour une fédération, c’est plus que rare… C’est inédit ! C’est une situation tout à fait inédite. Une anomalie, même, d’une certaine façon, qui remonte à plusieurs mois à la suite d’une Coupe d’Afrique des nations (CAN) dont, je vous le rappelle, le Cameroun est sorti par la toute petite porte.

Sur le papier, c’est la contre-performance du Cameroun à la dernière CAN qui avait provoqué le changement de sélectionneur… Les joueurs, Frank Simon, les Lions indomptables, est-ce que l’on sait ce qu’ils en pensent ?

Ils sont inaudibles pour l’instant, en tout cas ceux qui sont les premiers concernés, ceux qui risquent d’être appelés. Pour l’instant, on ne les entend pas. Certaines voix d’anciens se sont prononcées ou de joueurs déjà passés par la sélection, mais qui n’en font plus partie. Vous avez le grand frère dans le football camerounais, Patrick Mboma, qui s’est illustré par une certaine déclaration, rangé derrière Samuel Eto’o. Vous avez Fabrice Olinga, qui est un joueur proche de Samuel Eto’o, un ancien international, qui lui aussi a parlé en faveur du patron de la Fécafoot. De toute façon, on le sent bien : les acteurs, les premiers acteurs du football, les joueurs eux-mêmes rallient plutôt le camp de Samuel Eto’o Fils, la légende – on le rappelle encore une fois – du football et camerounais et africain. Maintenant, c’est plus compliqué que cela. Vous savez que le Cameroun est dans un processus de renouvellement de l’effectif, de rajeunissement, on fait appel à des binationaux… Et pour certains, c’est quand même compliqué de parler, de prendre position. Imaginez la difficulté d’affirmer quoi que ce soit, d’autant que certains ont été contactés directement par le sélectionneur belge du Cameroun, Marc Brys, promu par le ministère des Sports.

La CAF et la Fifa restent extrêmement timides depuis le début de tous ces événements. Pourquoi ? En principe, elles interdisent les ingérences politiques dans les affaires des fédérations… Pourquoi est-ce qu’elles n’ont pas pris plus fermement parti pour Samuel Eto’o ?

Effectivement, là aussi, on peut parler d’une Fédération internationale inaudible, la CAF également. Mais la CAF a ses soucis à régler. Ce qui est plus étonnant, et vous avez raison de le signaler, c’est que la Fifa, pour l’instant, n’a pas émis grand-chose. Il y a eu bien sûr des échanges de courriers et on les a suivis tout au long de ces dernières semaines. On a vu, à un moment donné, affiché sur le site Internet de la Fifa, le nom du Belge Marc Brys. Donc, quelque part, une reconnaissance de sa nouvelle fonction. Je crois que ça a été retiré. Mais, en dehors de cela, on n’a pas vu d’autres choses. On a un peu le sentiment que la Fifa attend que cette crise – parce que c’est une grave crise – soit résolue en interne par les Camerounais.

Selon vous, quelle est la vraie racine du problème. Vous nous disiez, tout à l’heure, c’est une bataille politique, c’est cela ? On voudrait mettre des bâtons dans les roues d’un Samuel Eto’o trop remuant, trop ambitieux ?

Cela y ressemble un petit peu. Après, quand on regarde ce qui se passe ailleurs, on a l’impression qu’on a un peu un microclimat, si vous voulez, au Cameroun. Quand on regarde ailleurs, en dehors même du continent africain, normalement, c'est la Fédération qui a la prérogative de nommer le sélectionneur. Le ministre peut recommander aussi des choses, mais, enfin, c’est vrai que c’est très étonnant. On le sent un peu jaloux de ces prérogatives, fâché aussi de ne pas avoir pu décider lui-même de tout cela. Donc, il y a ce bras de fer… Je ne vous apprends rien, ce bras de fer entre la tutelle, le ministère des Sports au Cameroun, le Minsep, et la Fécafoot, c’est un long feuilleton ! Il n’a pas commencé en 2024…

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