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Lettre ouverte d’Ali Bongo: l’ex-président exprime «la même douleur que les familles ont vécue pendant 14 ans»

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Dans une lettre ouverte diffusée mercredi 18 septembre au soir par ses avocats, l’ex-président gabonais Ali Bongo demande à ses compatriotes de ne pas céder à l’esprit de vengeance contre sa femme et son fils, détenus depuis le coup d’État. Il reconnaît aussi les insuffisances de ses différents mandats et s’en présente comme le seul responsable. Marc Ona Essangui fut l’une des voix les plus critiques de l’ancien régime. Grande figure de la société civile gabonaise, aujourd’hui vice-président du Sénat de transition, comment a-t-il lu cette lettre d’Ali Bongo ? Est-il satisfait de l’avancement du projet de nouvelle constitution élaboré sous la houlette du nouveau pouvoir militaire ?

Vue générale des affiches de campagne déchirées du président gabonais déchu Ali Bongo Ondimba et de son parti politique, le Parti démocratique gabonais (PDG), à Libreville, le 7 septembre 2023.
Vue générale des affiches de campagne déchirées du président gabonais déchu Ali Bongo Ondimba et de son parti politique, le Parti démocratique gabonais (PDG), à Libreville, le 7 septembre 2023. AFP - -
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RFI : comment analysez-vous la lettre d'Ali Bongo ?

Marc Ona Essangui : Je constate que c'est la lettre d'un père de famille adressé aux autorités pour faire en sorte que son épouse et son enfant soient libres. Je comprends la douleur de Monsieur Ali Bongo, c'est la même douleur que les familles gabonaises ont vécue pendant 14 ans. Ali Bongo a été à l'origine du malheur qui a frappé beaucoup de famille. La dernière douleur en date, c'est celle des familles après l'attaque du QG de Jean Ping en 2016. Je pense qu'aujourd'hui, il comprend aisément que la vie ne vaut pas tout ce qu'on est en train de faire subir aux peuples africains et surtout au peuple gabonais. Il faut être humain. Humain, pour savoir que ce que les autres vivent, je peux le vivre un jour.

Il y a tout de même dans cette lettre une ébauche de mea-culpa. « Je suis conscient des insuffisances de ma présidence dont j'assume seul la responsabilité ». Y êtes-vous sensible ?

Je ne peux pas être sensible à ces mots parce que ce sont des mots d'une personne qui n'a plus de pouvoir. Mais quand il avait le pouvoir, nous, au niveau de la société civile, nous avons souhaité organiser à plusieurs reprises de dialogue des dialogues dans lesquels les Gabonais devaient se retrouver autour de la table pour mettre fin à tous ces malheurs, à toutes ces injustices, à toute cette mal-gouvernance qu'Ali Bongo et sa famille ont fait vivre aux Gabonais. Aujourd'hui, nous sommes dans un pays où les militaires sont en train de tout reconstruire. Je dis bien tout reconstruire parce que c'est un délabrement total qu'Ali Bongo et sa famille ont laissé au peuple gabonais. Il faut tout refaire.

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Marc Ona Essangui, président de Tournons la Page.
Marc Ona Essangui, président de Tournons la Page. © youtube.com

On va reviendra sur ce processus de reconstruction. Ali Bongo se livre à un plaidoyer pour sa femme et son fils et il rappelle aussi qu'il n'est pas libre de ses mouvements. Pourquoi, lui, ne fait pas l'objet de poursuites judiciaires ?

Il n'est pas libre de ses mouvements, c'est lui qui le dit. À plusieurs reprises, les autorités militaires ont souhaité qu'Ali Bongo aille poursuivre ses soins médicaux à l'international. Il a refusé, il a refusé parce qu'il souhaite absolument que son fils et son épouse soient libres. Sauf que son fils et son épouse sont en détention pour des délits et non pas pour avoir été l'épouse ou le fils d'Ali Bongo. Alors, il n'est pas libre tout simplement, parce qu'il ne veut pas être.

Libre, mais il ne peut pas sortir de sa résidence, il ne peut pas recevoir qui le veut.

La preuve, à chaque délégation internationale, Ali Bongo est toujours visité par la délégation en question. La dernière délégation en date qui est passée à Libreville, c'est celle de l'Union africaine et Ali Bongo les a reçus.

Un mot, à présent, de la transition en cours, de l'après Ali Bongo qui se joue en ce moment. L'Assemblée constituante, dont vous faites partie, examine le projet de nouvelle Constitution. Les députés et sénateurs ont déposé des amendements, y en a-t-il beaucoup ?

Nous sommes en train de travailler. Nous ne sommes pas encore à la fin de ce processus. Nous allons arriver au terme de cet examen à la fin de cette semaine. Après, les Gabonais vont découvrir ce qui est ce qui a été retenu par les parlementaires.

Un des grands points des débats, c'est celui des conditions pour être éligible à la présidence. Être gabonais de père, de mère, de grands-parents et avoir un conjoint qui soit aussi gabonais. Est-ce qu'il y a eu des propositions, des amendements pour modifier ses conditions ?

Il faut partir du principe que les militaires ont été appelés pour restaurer les institutions. Il ne faut surtout pas oublier que le président de la République est une institution et par conséquent, si on doit restaurer les institutions, il faut les rendre fortes. Les Gabonais qui étaient au dialogue national ont souhaité mettre des verrous autour du président de la République, par rapport à l'expérience de d'Ali Bongo. Ali Bongo, qui a complètement abandonné son pouvoir pour les enfants, pour son épouse, pour des amis. Or, nous souhaitons que le prochain président soit un président de la République avec tous les verrous pour ne plus retomber dans les travers du pouvoir d'Ali Bongo.

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Un homme passe devant des affiches de campagne déchirées du président gabonais déchu Ali Bongo Ondimba et de son parti politique, le Parti démocratique gabonais (PDG), à Libreville, le 7 septembre 2023.
Un homme passe devant des affiches de campagne déchirées du président gabonais déchu Ali Bongo Ondimba et de son parti politique, le Parti démocratique gabonais (PDG), à Libreville, le 7 septembre 2023. AFP - -

Je comprends que vous êtes vous-même favorable à ces conditions pour être éligible. Mais ces conditions tout de même risquent d'éliminer de nombreuses personnalités politiques de la course à la présidence.

Je ne pense pas. Quel que soit le pays, je ne pense pas qu'ils n'y aient pas de verrou. Vous allez aux États-Unis : pour être président américain, il faut être né sur le sol américain. Mais beaucoup d'Américains ne sont pas nés sur le sol américain. Chaque pays dispose d'une d'une constitution qui correspond à ces réalités. Je pense que si les Gabonais qui étaient au dialogue national inclusif ont préféré mettre ces verrous, c'est parce que ce verrou cadre avec la réalité que nous souhaitons pour être président au Gabon.

C'est le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) qui aura le dernier mot sur la version de la Constitution qui sera soumise à référendum ? Est-ce que, finalement, le travail qu'est en train d'effectuer la Constituante va servir à quelque chose ?

Si le CTRI voulait décider seul, je pense qu'il n'aurait pas envoyé cette mouture au niveau du Parlement où les députés et les sénateurs sont en train de faire un travail impressionnant. La mouture, qui va être remise au CTRI, je pense que le CTRI aura aussi un regard très attentif par rapport aux propositions faites par des Gabonais regroupés au sein de la Constituante.

Vous êtes plutôt confiant sur ce point. Vous-même, et d'autres grands noms de la société civile, vous apportez votre notoriété à ce processus, à cette Constitution qui est destinée à durer. Ne craignez-vous pas d'avoir un jour à le regretter ?

Pas du tout. Je pense que nous travaillons en notre âme et conscience et nous avons accepté d'accompagner la transition parce que nous estimons le travail que nous avons fait, nous avons toujours souhaité accompagner et donner notre point de vue. Je ne pense pas que les militaires soient complètement autistes par rapport à ce que nous disons. Je prends tout simplement que les militaires ont besoin d'associer. C'est ce qu'ils ont fait depuis le début, ils ont associé tout le monde. Les politiques et même les anciens du parti au pouvoir.

Cela prouve qu'il y a une volonté d'ouverture et chacun apporte sa contribution. Je pense que je ne pourrais pas le regretter parce que le sentiment est le même, il faut écrire les nouvelles pages du Gabon. Nous sommes en train d'écrire les pages du nouveau Gabon que nous souhaitons et nous allons aviser par rapport aux résultats.

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