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Ambroise Wonkam: «Toutes les populations humaines viennent du continent africain»

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Sur le continent, un petit groupe de scientifiques africains tente de faire décoller la recherche sur la génomique humaine. Malgré les grandes avancées du secteur, plus de 20 ans après le premier décryptage complet d’un génome humain, les populations africaines sont les grandes oubliées des études mondiales, et représentent moins de 2% des génomes séquencés. Un biais que le chercheur Ambroise Wonkam dénonce depuis des années. Le président de la Société africaine de génétique humaine était au sommet du secteur organisé à Durban en Afrique du Sud, ce mois-ci.

Ambroise Wonkam, médecin camerounais, directeur du département de médecine génétique de l’université Johns Hopkins, président de la société africaine de génétique humaine.
Ambroise Wonkam, médecin camerounais, directeur du département de médecine génétique de l’université Johns Hopkins, président de la société africaine de génétique humaine. © Claire Bargelès/RFI
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RFI : Que sait-on du génome humain à l’heure actuelle ?

Ambroise Wonkam : Ce qu’on en sait, c'est que c’est une immense bibliothèque de 23 paires d’étagères que nous appelons techniquement les chromosomes, et dans ces chromosomes-là, il y a 20 000 paires de livres que nous appelons gènes. Et dans ces gènes, il y a des lettres que nous appelons nucléotides, on en a trois milliards. Nous savons que dans ces trois milliards de nucléotides, il y en a seulement 2% qui représentent ces livres que nous appelons gènes qui codent pour les protéines. Et nous savons également que toutes les populations humaines viennent du continent africain.

Et donc que sait-on des variations de ce génome chez les populations restées sur le continent ?

Justement, on n’en sait pas grand-chose. Ce que nous connaissons des lettres de l’alphabet de notre génome, jusqu’à 98%, ce sont les variations des populations en général européennes. Les programmes de séquençage des génomes jusqu’à présent ce sont des programmes nationaux. L’un des plus illustres, c’est le UK Biobank qui a séquencé plus de 500 000 génomes, à ce jour, de populations britanniques. Ces pays-là, ce sont les pays que nous disons à ressources élevées, et dans ces cas-là, ce sont souvent les pays européens ou américains. Conséquemment, jusqu’à présent, les représentations des populations d’origine européennes sont largement disproportionnellement représentées par rapport à ce que nous souhaiterions voir. Cela veut dire qu’une bonne partie des variants génétiques qui sont dans les populations africaines d’aujourd’hui, nous n’en connaissons rien, parce qu’elles n’ont jamais quitté le continent.

En pointant du doigt les différences au niveau du continent africain, est-ce qu’il n’y a pas un risque de réveiller les vieux démons du racisme ?

Absolument pas. Je pense qu’on a tous un intérêt scientifique à connaître la diversité génétique africaine. Premièrement, on est tous Africains, donc c’est la raison ancestrale. Il y a des parties de notre génome qui ne sont pas encore bien connues, celles que nous appelons par exemple les parties fantôme du génome. Ce sont des parties dont nous avons hérité de populations humanoïdes qui n’ont jamais quitté le continent. La deuxième raison, c’est l’écologie du continent africain qui est radicalement différente de l’écologie du continent européen ou asiatique. Le continent africain a une orientation nord-sud, et cet axe nord-sud permet d’avoir une diversité environnementale, du Caire au Cap, et au milieu, on a la forêt équatoriale. Chaque fois qu’on a une diversité environnementale, cela met la pression sur notre génome, et notre génome est modifié. Et plus vous avez une diversité environnementale, plus vous avez une diversité en infections, et les infections également modifient notre génome au cours du temps.

Et si on n’a pas suffisamment de données sur toutes les populations, elles se retrouvent exclues des avancées de la médecine ?

Absolument. Il y a également la raison d’équité. Si nous ne connaissons pas, par exemple, les gènes qui sont les plus importants en termes de diagnostic des maladies génétiques des populations africaines, il est impossible pour moi, en tant que médecin généticien, de soigner un enfant africain de la même façon que je soigne un enfant européen. Il y a très longtemps, je vivais et travaillais en Suisse : si je voyais un enfant suisse, européen, qui est né avec une surdité, en testant un seul gène, dans 50% des cas, je résous la question de l’origine de la surdité. Lorsque je suis retourné sur le continent africain, j’ai testé des enfants camerounais, ou des enfants sud-africains noirs, 0% de ces enfants n’avaient de mutations dans ces gènes. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’un des axes de recherches aujourd’hui pour moi, c'est de retrouver des gènes qui ont à voir avec la surdité dans les populations africaines.

 Et puis on peut dire que se priver de ces données, c’est ralentir la recherche mondiale, puisqu’elles contiennent des réponses pour l’ensemble de l’humanité ?

Je vais vous donner un exemple typique : il y a un gène qui a des variants qui sont représentés dans les populations africaines 200 fois plus que dans les populations européennes. Et nous savons que ces variants sont associés à une réduction du taux de cholestérol, de plus de 40% si vous comparez un Africain et un non-Africain vivant dans le même environnement. Et cette connaissance a permis de développer au moins trois médicaments pour lutter contre le taux de cholestérol élevé. Sans étudier les populations africaines, ces médicaments n’auraient pas été développés.

Cependant, sur le continent, la priorité est plutôt mise sur les maladies infectieuses, comme le paludisme ou le sida, et le séquençage des virus, plus que sur le séquençage du génome humain ?

Oui, et c’est une priorité logique. Mais je dois aussi dire que la crise du Covid-19 nous a montré que les laboratoires de génétique, ce n’est pas que seulement pour les maladies rares. Avec les mêmes équipements, vous détectez les virus de l’hépatite virale, vous détectez le virus du VIH et cela permet également d’étendre l’utilisation de la technologie génétique. Donc, ce n’est pas seulement pour les maladies rares humaines, mais ça peut être aussi pour les maladies infectieuses.

Vous aviez l’ambition de séquencer trois millions de génomes humains, en Afrique, où en est-on de ce projet ?

Le projet a évolué. Nous travaillons avec un groupe de leaders africains : le docteur Mulder du Cap, le docteur Christian Happi du Nigeria, et moi-même. Notre ambition, c'est de développer dix centres d’excellence sur les dix prochaines années sur le continent africain et chaque centre d’excellence sera équipé avec des ressources financières d’environ 10 millions de dollars par année. Notre ambition, c'est de commencer à séquences à peu près 300 000 génomes. Il y a un groupe d’industries, qui se sont organisées. Ils se sont déjà engagés pour séquencer les premiers 25 000 génomes. Les machines de séquençage ont déjà été installées dans deux laboratoires et on a déjà commencé les premiers séquençages humains. Donc le projet avance, et j’espère que dans les deux prochaines années, on sera capable de le lancer officiellement.

Donc, vous êtes passés de trois millions de génomes à une décentralisation entre différents pays ?

Je suis toujours convaincu qu’il faut un minimum de trois millions, mais pour faire un long chemin, il faut un premier pas, et le premier pas, c'est 300 000.

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